Début mars, la commission européenne a présenté une proposition pour réduire le dumping social engendré par les travailleurs détachés. Si le texte réduit l’écart de coût du travail avec les salariés locaux, il n’apporte pas une réponse à la hauteur de la situation, selon certains observateurs.
par Eric Béal 24/03/2016 Liaisons Sociales Magazine
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« Enfin, le débat sur la lutte contre le dumping social entre dans le vif du sujet. Dans un communiqué publié le 8 mars, les eurodéputés socialistes et radiaux se sont félicités de la proposition présentée par la Commission européenne pour réformer la directive concernant le détachement des travailleurs.
Cette directive, qui date du 16 décembre 1996, organise la possibilité pour un ressortissant européen, de partir travailler dans un autre pays que le sien, pour le compte d’un prestataire de service installé dans son pays d’origine. Si le salaire et les conditions de travail de l’employé détaché relèvent des règles du pays d’accueil, les cotisations sociales sont celles du pays d’origine.
Une concurrence exacerbée
Concrètement, les salariés détachés doivent toucher au minimum le smic. Mais ils font économiser au minimum 20% du coût du travail à un employeur français grâce à la différence entre le niveau de cotisations patronales dans les pays d’origine et celui imposé aux entreprises dans l’hexagone. Et souvent plus! Car très peu d’entre eux sont payés au dessus du salaire minimum, même si à poste équivalent, leurs collègues de travail français sont mieux payés.
En vingt ans, ces règles ont permis l’installation d’une concurrence exacerbée dans certains secteurs comme le BTP ou le transport routier. « En 2000, on dénombrait 7500 travailleurs détachés en France. On en compte près de 215 000 en situation régulière aujourd’hui. Et de 100 000 à 300 000 en situation irrégulière, selon les estimations », constate Bruno Chrétien, président de l’Institut de la Protection Sociale. Il ajoute que dans le lot, environ 13 000 travailleurs « détachés » sont en réalité des salariés français travaillant près de chez eux pour une entreprise luxembourgeoise.
La situation est identique dans tous les pays européens qui se sont dotés d’un salaire minimum et d’un système de protection sociale financé en grande partie sur des cotisations liées au salaire. Ces dernières années, le nombre de travailleurs détachés a augmenté de près de 40% en Europe, pour un total de près de deux millions de personnes en 2014, selon la Commission.
Des propositions pour réduire la différence de coût
Sur le fond, la Commission souhaite introduire des changements dans trois grands domaines : la rémunération, les règles sur les travailleurs intérimaires et le détachement de longue durée. Non content de profiter du smic, les travailleurs détachés devront bénéficier des mêmes règles de rémunération et de travail que les travailleurs locaux. Les employeurs devront appliquer la convention collective sur les rémunérations et accorder les mêmes avantages sociaux qu’aux travailleurs locaux.
Détail qui a son importance, toutes les règles relatives à la rémunération des travailleurs locaux devront être également appliquées aux travailleurs détachés. Non seulement les taux de salaire minimum selon la grille conventionnelle, mais également les primes ou les indemnités le cas échéant.
La réglementation nationale concernant le travail intérimaire devra s’appliquer lorsque les entreprises de travail intérimaire établies à l’étranger détachent des travailleurs. Enfin, si la durée du détachement dépasse 24 mois, les conditions prévues par la législation du travail des états membres d’accueil devront être appliquées, lorsqu’elles sont favorables au travailleur détaché.
L’insatisfaction des syndicats européens
Pour Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), la solution proposée n’est pas satisfaisante. « Le Président Juncker avait promis l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale. S’il tient cette promesse, c’est toutefois au prix d’une lacune significative. Le libellé sur la rémunération a été amélioré par rapport aux versions précédentes, mais la définition du type de convention collective reconnue est trop restrictive. Elle exclut les conventions collectives sectorielles dans certains pays, comme l’Allemagne ou l’Italie. Ainsi que tous les accords collectifs d’entreprise. »
La CES et les employeurs avaient demandé à la Commission européenne de retarder la publication de sa proposition pour permettre une consultation des partenaires sociaux. La confédération syndicale réclame le droit pour les syndicats locaux, de négocier collectivement pour les travailleurs détachés. Ainsi que la reconnaissance de la responsabilité des principaux donneurs d’ordre, au côté de leurs sous-traitants, concernant le respect des termes et conditions d’emploi.
Notre protection sociale à un tournant
De son côté, l’Institut de la Protection Sociale estime fondamental que les travailleurs détachés exerçant en France payent les mêmes cotisations sociales. Le think tank réclame carrément la remise en cause du principe européen pour éviter l’effondrement financier de notre système de protection sociale. « Nous avons près de 400 000 travailleurs détachés en France, martèle Bruno Chrétien. Or notre système de prestations sociales a connu un déficit de 9 milliards en 2015. Il est impératif de trouver une solution. » Et de prédire que dans le cas contraire, la structure de financement de la protection sociale française ne pourra pas résister. L’Etat devra soit baisser fortement les retraites et les remboursements de frais de santé, soit réduire drastiquement les cotisations sociales pour les transférer sur la TVA, afin que le coût du travail des salariés français redevienne compétitif.
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