Boursorama avec AFP le 16/12/2016
à 12:09
La direction de la SNCF l'a annoncé cette semaine : près de 30.000
cadres et agents de maîtrise vont passer au "forfait jours".
Déjà en
vigueur dans de nombreuses entreprises, ce dispositif pourrait encore s'étendre
dans les prochains mois. Syndicats, salariés et avocats mettent eux en garde
contre l'absence de garde-fous pour empêcher son utilisation abusive.
Spécificité
française dérogatoire aux 35 heures instaurée en 2000, "le forfait
jours" permet de rémunérer le salarié en fonction du nombre de jours
travaillés à l'année (218 jours maximum, 235 sous certaines conditions) et non
d'horaires hebdomadaires.
Il exonère donc l'employeur du paiement des heures
supplémentaires et prévoit uniquement un temps de repos légal (11 heures par
jour et 35 heures consécutives par semaine).
En échange, le salarié gère son
temps de travail comme il l'entend et bénéficie de jours supplémentaires, en
plus des congés payés. Il gagne aussi 5% de plus que les autres en moyenne,
selon les statistiques du ministère du Travail.
Pour être
pratiqué, le forfait doit être encadré par un accord d'entreprise ou de branche
et accepté par chaque salarié.
Dans le cas de la SNCF, la CGT a d'ailleurs
appelé ces derniers à refuser la signature de leur convention individuelle.
Près de 50% des cadres (surtout dans la banque, la communication,
l'informatique) et 3% des non-cadres sont actuellement au "forfait
jour" en France.
Mais "les entreprises ont utilisé le forfait jours
pour augmenter la charge de travail", déplore auprès de l'AFP Jérôme
Chemin, de la CFDT cadres, qui évoque la "peur de représailles",
l'augmentation des burn-out, des cas de dépressions et de suicides.
LE RÉGIME
DURCI DANS PLUSIEURS ENTREPRISES
A un moment
où les outils numériques effacent les limites entre vie professionnelle et vie
privée, rendant difficile la mesure de la charge de travail, les syndicats
dénoncent un dispositif qui encourage le "travail gratuit" au
détriment de la santé des salariés, dans un contexte de chômage massif où la
peur de perdre son emploi prime.
Pour
Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC chez Orange, et cadre soumis à ce
régime, "le forfait jours ne tient plus ses promesses".
Aujourd'hui,
"quand on est cadre, la pression est forte et dans une période de fort
chômage, personne ne se ménage", souligne-t-il. À la Caisse d'épargne,
"on traite les dossiers chez nous, avec nos smartphones", regrette
l'un de ses cadres sous couvert d'anonymat.
Or, le forfait jours avait été
conçu pour permettre aux cadres, plus autonomes dans l'organisation de leur
travail, de bénéficier d'une réduction effective du temps de travail.
Nombre
d'entreprises ont récemment durci le régime : EDF a proposé un forfait de
référence de 209 jours, soit "7 à 16 jours de plus" qu'avant, signé
par 89% des quelque 28.000 cadres. Chez Areva, des négociations visant à
"harmoniser" à la hausse la durée annuelle du travail pour les cadres
au forfait jours doivent débuter en janvier, dans un contexte de réduction
drastique des effectifs.
DES DÉRIVES
Horaires à
rallonge, temps de repos quotidien non respecté... Le forfait jours a entraîné
des dérives : le Comité européen des droits sociaux a condamné trois fois la
France pour son insuffisance à protéger efficacement les salariés contre une
durée de travail excessive.
La Cour de cassation a invalidé 11 accords de
branches non conformes, et des employeurs ont été condamnés pour travail
dissimulé, comme le groupe bancaire BPCE.
La loi
travail a intégré la jurisprudence de la Cour de cassation, en stipulant que
les accords collectifs devront déterminer "les modalités selon lesquelles
l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du
salarié".
Mais elle ne dit pas comment. Elle "ne sécurise rien",
affirme Emmanuel Dockes, avocat du droit du travail, pour qui "il aurait
fallu qu'elle exprime très clairement un certain nombre de conditions pour la
validité des conventions collectives".
"C'est un pansement sur une
jambe de bois", abonde Sylvain Niel, du cabinet Fidal qui conseille
plusieurs grands groupes.
L'Ugict-CGT
met en garde contre un dispositif qui, mal encadré, permet
d'"institutionnaliser le travail gratuit". Jean-Luc Molins, l'un de
ses responsables, évoque le cas de la SNCF, qui a décidé de proposer aux
salariés un "référentiel-cadre" de 214 jours. Il rappelle qu'une
expertise du cabinet Secafi a établi qu'un tiers des personnels travaillait
entre 50 et 65 heures par semaine dans les établissements chargés notamment de
l'entretien des infrastructures, avec des pics à 70 heures
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