«On a réussi à réunir Sud et la CFE-CGC, c’est dire si le malaise est profond», note un des 500 salariés grévistes de BPCE (Banque populaire, Caisse d’épargne, Crédit coopératif,…), réunis, mardi matin devant le siège parisien du deuxième groupe bancaire français. «Une première historique», entonne son voisin qui précise que tous les syndicats se sont mis d’accord pour défendre les salaires et les conditions de travail des salariés. «Du jamais vu» depuis la naissance de BPCE en 2009. CFDT, Unsa, CGT, CFTC, FO, CFE-CGC/SNB, SUD Solidaire, les drapeaux oranges, rouges, bleus, blancs, jaunes se sont mélangés, le temps d’une matinée, pour dénoncer un ras-le-bol général. Celui d’une souffrance au travail que beaucoup lient aux réorganisations successives mises en place par François Pérol, président du groupe, depuis 2009.
Erosion des effectifs, multiplication des tâches, perte du contact humain, objectifs commerciaux toujours plus ambitieux et déconnectés des besoins des clients: les griefs sont nombreux. «On est en surrégime constant», témoigne un salarié. «Désormais nous devons travailler en multicanal, c’est-à-dire gérer l’accueil physique des clients, le téléphone et les services en ligne, mais nous ne sommes pas assez nombreux», poursuit une autre. En cause: les réductions successives d'effectifs au cours des dernières années. «Rien qu'entre 2013 et aujourd'hui, on est passé de 115 000 à 108 000 salariés», estime un élu de l'UNSA.

«IL FAUT VENDRE, VENDRE, VENDRE»

Après 35 ans de boîte, un gréviste, gestionnaire clientèle à la Caisse d’épargne et syndiqué à la CFTC, explique comment son métier a changé du tout au tout. «Aujourd'hui, il faut vendre, vendre, vendre. Le but premier du banquier c’est de réussir à provoquer des besoins», explique ce quinqua qui a parfois «l’impression de faire le tapin». Un sentiment partagé par sa collègue: «ce que l'on aime, c'est le contact avec les clients. Là c’est de l’abattage. On est loin du vrai conseil.» Mais s’ils ne se retrouvent pas dans leur nouveau rôle, les salariés n’ont guère le choix que de jouer le jeu. «Dans les agences, le personnel a de plus en plus d’objectifs à atteindre», résume Christian Lebon, de la CGT, qui évoque un management «par la peur» et une pression constante. «Il y a en permanence un chantage à la part variable et à l’évolution de carrière», poursuit-il. Exemple avec les «challenges» régulièrement proposés par la direction aux salariés, explique une chargée de clientèle. «Une semaine, il faut vendre des plans d’épargne logement, la suivante, des participations sociales ou des conventions obsèques. Bientôt il nous faudra proposer des téléphones!», s’agace-t-elle.
«Dans les agences bancaires, on tient aux anxiolytiques», raconte, les larmes aux yeux, une directrice adjointe. «Il faut recevoir les clients, monter les dossiers, répondre au téléphone, il n’y a jamais un moment où l’on peut se poser». Stress, troubles du sommeil, boule au ventre, les grévistes racontent, à tour de rôle, les mêmes maux. «Le soir, on est lessivés», conclut l’une d’entre eux. Une souffrance que les délégués syndicaux se «bouffent en pleine face», selon une élue CGT. «On nous appelle en pleurs, certains nous disent qu’ils vont se défenestrer», grince-t-elle. Au total, depuis 2011, les syndicats recensent 29 tentatives de suicides au sein de la seule Caisse d’épargne. «Sans oublier tous les autres qui n’arrivent à travailler qu’en prenant des médicaments», note Bernard Charrier du syndicat unifié-UNSA.
Autre revendication: les salaires qui ne décollent pas. «Les salariés font des efforts, mais ces derniers ne sont pas rétribués», tacle Christian Lebon de la CGT. «En 2014, le groupe a fait 3,1 milliards de résultat net, mais cette année, c’est 0% d’augmentation pour les salariés», ajoute un gréviste. De son côté, le groupe explique avoir «été au maximum de ce qui pouvait être fait», avec des propositions allant «de 0,5 à 0,6% de la masse salariale, pour une inflation à 0,1%», selon Hervé D’Harcourt, directeur de la stratégie et du développement social, cité par l’AFP. Pas de quoi convaincre les militants qui promettent, après un bref entretien avec la direction en charge des ressources humaines, que le mouvement ne s’arrêtera pas là. Et réclament un rendez-vous avec François Pérol, «resté pour l’heure à l’abri», au plus vite. «Les banquiers ne sont pourtant pas réputés pour être de grands militants, s’amuse l’un d’eux. Mais là c’est trop».
Amandine CAILHOL