INTERVIEW On le sait peu, mais le PDG de Total a aussi été syndicaliste durant sa carrière. Marc Ducros, ex-secrétaire du CE de Total, révèle cette facette méconnue de Christophe de Margerie.
Christophe de Margerie a été secrétaire du Comité d'entreprise de Total entre 1981 et 1983 (ROBERT FRANCOIS / AFP)
A quelle occasion avez-vous rencontré Christophe de Margerie quand il était syndicaliste?
C'était entre 1981 et 1983, quand j'étais secrétaire du Comité d'entreprise du groupe Total, qui concernait 60.000 personnes à l'époque, alors qu'il était secrétaire adjoint. D'ailleurs à l'époque il avait refusé de se positionner comme secrétaire du CE (responsable opérationnel NDLR) et le poste d'adjoint lui convenait parfaitement: il lui donnait une parfaite visibilité sur la vie de l'entreprise sans pour autant l'accaparer.
A votre avis, pourquoi avait-il adhéré?
Pas par arrivisme, c'est sûr, disons que ça l'intéressait beaucoup de contribuer de façon constructive aux actions collectives. Et il pouvait disposer de moyens importants pour ces actions, puisque le Comité d'entreprise gérait entre 1 et 1,5% d'une masse salariale d'une dizaine de milliards de francs de l'époque, ce qui était considérable. Disons aussi que ce poste lui offrait un point de vue tout à fait différent sur l'entreprise, à savoir l'angle des relations sociales et humaines, et cela lui a certainement été utile pour la suite de sa carrière, sans compter qu'à ce poste, vous avez un accès direct à la Direction, ce qui n'est jamais inutile dans ces grands groupes.
Et comment s'est-il retrouvé au Comité d'entreprise ?
C'est simple, il y a des élections, et ensuite les membres élus votent pour tel ou tel candidat aux postes de secrétaire du CE, secrétaire adjoint, responsables de commission, etc...
Physiquement, comment était-il à l'époque ?
Oh il avait déjà la moustache mais à l'époque ce n'était pas une "big moustache", plutôt une petite moustache discrète. Il était un peu moins "rond" que lorsqu'il est devenu PDG, mais tout aussi jovial.
Quel était son rôle au sein du Comité d'entreprise?
En tant que secrétaire adjoint, il organisait les différentes commissions de travail, il y avait des dossiers qu'il fallait préparer, des réponses à donner à la direction, et c'est lui qui se chargeait de tout ça, en concertation avec les autres syndicats. Lui était adhérent au syndicat CGC (confédération générale des cadres, qui deviendra ensuite CFE-CGC NDLR), comme moi d'ailleurs. Par exemple, quand la direction a décidé que les cadres ne voyageraient plus en première classe en avion, mais en classe affaire, c'est lui qui a géré le dossier. Pareil pour les cas de fermetures d'établissement, qui étaient rares d'ailleurs à l'époque.
Comment se comportait-il face à la direction? Etait-il combatif ? Souple? Osait-il dire "non" ?
Il n'était pas du tout du genre à dire "amen" à tout ce que disait la direction, il était tenace et combatif mais il n'aimait pas se lancer dans les combats perdus d'avance, ni défendre l'indéfendable. Quand il y avait un problème, il cherchait une solution, il n'était pas du tout dans l'opposition "bestiale" et systématique.
Etait-il déjà bon négociateur?
Ah ça oui. Il voyait tout de suite la faille du dossier de la partie adverse, et il savait la révéler et l'exploiter dans le cours de la négociation. En outre, comme il était plein d'humour, il savait pointer un point faible chez la partie adverse, mais sans jamais verser dans la méchanceté ou l'agressivité. Disons que grâce à son humour il arrivait à tout dire, à tout faire passer.
Comment était-il perçu, en tant que syndicaliste?
Eh bien c'était un très bon syndicaliste : car il était aussi Délégué du personnel, et il savait monter au créneau pour défendre efficacement des collègues face à la Direction -mais, encore une fois, surtout quand les dossiers étaient défendables, il n'aimait pas les causes perdues d'avance. Et il défendait aussi des salariés même quand ils n'étaient pas syndiqués.
On sentait déjà qu'il avait l'étoffe d'un patron?
Oui, tout à fait, car il pouvait sans problème remplacer le secrétaire du CE en cas d'absence ou d'empêchement, et dans ce cas il jouait parfaitement son rôle: il était déjà à l'aise pour parler en public, défendre un point de vue ou un dossier, et pour séduire et convaincre. Il était notamment très bon pour saisir tout de suite les enjeux essentiels d'un dossier. Et ce poste lui a sans doute permis d'être plus humain que d'autres: il avait le tutoiement facile, et il continuait de fréquenter et de tutoyer ceux qu'il avait connus en tant que syndicaliste, il n'était pas du genre à "oublier" les gens au cours de son ascension sociale.
Notre point de vue:
Secrétaire du CE devenant patron, on pense aussi que ça peut être possible !!
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