Le Monde.fr | 04.09.2014 à
16h29 • Mis à jour le 04.09.2014 à 18h13 | Par Francine Aizicovici
Condamnée
à une amende de 1 500 euros pour harcèlement moral envers cinq salariés par le
tribunal correctionnel de Montpellier le 11 février 2013, Bernadette
Voinet-Bellon, ancienne directrice d'une agence du Crédit coopératif dans la
préfecture de l'Hérault, avait pris des risques en interjetant appel. Elle
vient en effet de se voir infliger une peine de
trois mois de prison avec sursis par la chambre correctionnelle de la Cour
d'appel de Montpellier, dans un arrêt du 1er
septembre.
L'ancienne directrice n'a pas pu être jointe par téléphone
mais son avocat, Jacques Martin, indique avoir aussitôt déposé un
pourvoi en cassation. « Nous avons présenté de nombreux témoignages en
faveur de ma cliente, dont la Cour n'a pas tenu compte », explique-t-il.
Hurlements, cris , remarques désobligeantes, ordres
à exécuter sur le
champ, irruption dans les bureaux de commerciaux y compris en présence de
clients, etc. : ces faits, dont se sont plaints des salariés de l'agence de
Montpellier en 2007 auprès de délégués du personnel, duraient, selon eux,
depuis plusieurs années.
LE CHSCT ET LA DRH EN DÉSACCORD
Figurait parmi ces cinq salariés, Adolphe Gancedo,
élu délégué du personnel suppléant en 2007, soit six ans après l'arrivée de
cette directrice. « Les salariés ne supportaient plus cette atmosphère et
m'avaient demandé de les défendre »,
explique-t-il.
Il avait alerté l'inspection du travail en 2008,
qui avait alors dressé un procès-verbal relevant des agissements
susceptibles d'être qualifiés de «
harcèlement moral ». Une enquête préliminaire avait été ouverte.
Le directeur des ressources humaines (DRH) du groupe avait lui aussi été
informé de la situation par les délégués.
< aussi>Une
directrice d'agence du Crédit coopératif poursuivie pour harcèlement moral
Dans le même temps, le comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail
(CHSCT) avait diligenté une enquête. Conclusion : la directrice «
s'investit totalement dans sa mission pour l'intérêt du groupe », mais ses «
pratiques managériales » sont très mal vécues par une partie du personnel.
Le CHSCT avait préconisé son « remplacement rapide ».
Le DRH du groupe de l'époque s'était bien rendu sur
place à plusieurs reprises mais sa conclusion avait été très différente : «
aucun élément factuel, sérieux et concordant ne peut être mis en perspective
aux fins de dénoncer des
pratiques prétendues de harcèlement », écrivait-il dans une lettre de
juillet 2008 destinée à plusieurs salariés. « Vous
entretenez un conflit dont l'objet semble être de nuire à votre directrice
», ajoutait le directeur général du groupe dans un autre courrier.
LA THÈSE D'UN COMPLOT
Ainsi est née la thèse du complot qui sera au centre
de la défense
de Mme Voinet devant les juges. M. Martin estime que toute cette affaire a été «
orchestré » par M. Gancedo, aujourd'hui élu du CHSCT et délégué syndical
UNSA.
Sous-directeur d'une banque rachetée par le Crédit
coopératif, M. Gancedo a été muté en 2001 à l'agence de Montpellier, qui
disposait déjà d'un sous-directeur. M. Gancedo a toutefois gardé son
contrat de travail de sous-directeur mais il effectuait un travail de chargé de
clientèle.
Lors des débats, les avocats de Mme Voinet ont mis
en avant « l'ambition de M. Gancedo et sa détermination à prendre le poste de la
prévenue ». « A partir du moment où il
est devenu délégué, explique l'avocat, il a envoyé des mails agressifs
à Mme Voinet-Bellon, a constitué une équipe d'affidés autour de lui et monté un
véritable complot avec un seul but : devenir directeur de
l'agence ».
Déplorant que la Cour n'ait pas tenu compte de cet
aspect, M. Martin veut pour preuve de ce qu'il avance un mail de
M. Gancedo à la DRH, qu'il refuse cependant de nous adresser. Selon lui,
M. Gancedo a écrit : « La situation est devenue insupportable. Je suis
prêt à prendre sa place. »
M. Gancedo nous a communiqué ce mail, daté du
18 avril 2008, dont le contenu est différent : « Le remplacement immédiat
(de la directrice) a semblé poser un problème. Je
propose d'assurer l'intérim
(…). Je vous répète n'avoir aucune ambition
personnelle en la matière ».
ARRÊT MALADIE, DÉPRESSION ET MUTATION
Selon M. Gancedo, « cette histoire de complot
n'a été retenue par aucun des quatre tribunaux qui se sont déjà prononcés, au
civil et au pénal. Tous les intervenants sur ce dossier ont conclu au
harcèlement moral. Il n'y a que le Crédit coopératif qui le nie. »
Et Mme Voinet-Bellon, qui, malgré les mises en
cause répétées de son comportement, « a toujours été dans l'incapacité de
se remettre en question », estime la Cour
d'appel dans son arrêt. Les juges constatent aussi « l'absence complète de
contrôle et de réaction de la part de la direction de la banque pour mettre fin à une
situation tout à fait anormale qu'elle connaissait ».
Contactée, la direction du Crédit coopératif ne
veut faire aucun commentaire,
faisant valoir qu'elle n'est «
pas partie prenante » dans cette procédure. Le Parquet a en effet estimé
qu'il n'y avait pas matière à poursuivre la
banque, à la différence de l'inspection du travail.
M. Gancedo, dont les clients ont peu à peu été
retirés de son porte-feuille, a été mis en arrêt maladie durant plus d'un an,
entre 2008 et 2010, dit-il, ayant été victime d'une « dépression
réactionnelle ». Une de ses collègues a été hospitalisée un mois pour
dépression puis mise à la retraite par la Caisse primaire d'assurance maladie.
Une autre a été arrêtée un an puis a démissionné. Mme Voinet-Bellon a été mutée
au siège de la banque en avril 2009.
- Francine Aizicovici
Journaliste au Monde
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire