1 mars 2014

L’affaire Pérol, une plongée dans le système Sarkozy à l’Elysée

LE MONDE |  • Mis à jour le  |

La décision de Nicolas Sarkozy est sans appel. L'Etat est prêt à renflouer les Caisses d'épargne et les Banques populaires à hauteur de cinq milliards d'euros, à une condition : c'est son conseiller économique, François Pérol, qui dirigera le groupe issu de la fusion des deux banques. En cet hiver 2009 sévit dans le monde la plus grande crise financière depuis 1929. A la manœuvre pour éviter un effondrement du secteur bancaire, l'Etat pousse au rapprochement des deux groupes mutualistes. L'opération est sur le point d'aboutir. Mais bute sur le nom du futur dirigeant.

Convoqués ce samedi 21 février 2009 à l'Elysée, Bernard Comolet et Philippe Dupont, les patrons des deux groupes mutualistes, écoutent le président de la République dicter ses exigences. Ils accusent le coup. S'ils veulent mener à bien leur projet de fusion et échapper à la spirale initiée par la chute de Lehman Brothers, les deux hommes doivent renoncer à toute ambition personnelle et accepter le plan qu'on leur soumet sans ciller.
La suite se déroule à Paris, dans un petit restaurant de la rue Gay-Lussac, près du jardin du Luxembourg, à deux pas du domicile de François Pérol. Le conseiller du président est tout sourire. L'entretien avec Nicolas Sarkozy s'est déroulé conformément à la note qu'il avait préalablement passée au chef de l'Etat : « Il y a urgence à réaliser ce rapprochement (…). Je vous propose de leur faire part de la position définitive de l'Etat (…) sans laisser trop de place à la discussion. »

FUITES SUR LE SCÉNARIO BIEN HUILÉ DE L'ELYSÉE

Déjà dans ses habits de patron de banque, François Pérol dispense des conseils. Bernard Comolet a-t-il un « conseil en communication » ? Lui travaille avec Anne Méaux, patronne d'Image 7, égérie des patrons du CAC 40. Philippe Dupont vante pour sa part Euro RSCG et l'entregent de Stéphane Fouks, intime de Dominique Strauss-Kahn.
De cet improbable déjeuner comme de toute la période qui suit l'annonce du choix de François Pérol, Bernard Comolet a tout gardé en mémoire. Et par écrit. Des notes, son agenda personnel, jusqu'à la liste des rendez-vous pris par sa secrétaire. Sitôt rendue publique, la « contestation de la nomination de François Pérol » a été telle, que « je me suis dit [que] je pouvais être amené à témoigner »un jour, confiera-t-il plus tard.
De fait, à peine les trois convives ont-ils terminé leur déjeuner que les fuites sur le scénario bien huilé de l'Elysée indignent déjà. La loi en France interdit à un fonctionnaire de travailler pour une entreprise qu'il a surveillée ou conseillée sur ses opérations, dans les trois ans précédant son passage du public au privé. Le collaborateur de Nicolas Sarkozy n'a-t-il justement pas œuvré à la création du puissant groupe dont il a pris la présidence ?

FRANÇOIS PÉROL N'ÉTAIT « PAS CANDIDAT À CES FONCTIONS »

Mis en examen pour « prise illégale d'intérêts » par le juge Roger Le Loire le 6 février, l'ex-conseiller de Nicolas Sarkozy s'est toujours défendu de s'être taillé un poste à sa mesure. D'ailleurs, il n'était « pas candidat à ces fonctions », assure t-il. Le président lui a soumis l'idée, il a « pris cela comme une mission ».
L'enquête du magistrat, dont Le Monde a pu prendre connaissance, révèle le rôle joué par M. Pérol dans toute cette affaire. Elle apporte aussi un nouvel éclairage sur le fonctionnement de la « Sarkozie », dont elle exhume les manoeuvres et les intrigues, et raconte les petits arrangements entre puissants.

Comme souvent pendant cette période, l'histoire commence par une éviction en forme d'exécution publique. Lors d'un déplacement à Québec, à l'automne 2008, Nicolas Sarkozy réagit à la perte considérable – 800 millions d'euros – que vient de subir la Caisse d'épargne. Un trader a pris d'énormes positions sur les marchés. Le président fulmine. Il réclame la démission de Charles Milhaud, le patron historique de la banque du Livret A. « Tu ne pouvais pas faire autrement que démissionner mais je sais que tu n'y es pour rien », concède le chef de l'Etat au banquier lorsqu'il le reçoit dans son bureau.

FRANÇOIS PÉROL À LA MANŒUVRE

 L'épisode n'est que le premier acte de la mainmise de la présidence de la République sur les Caisses d'épargne. Sous le nom de code « Sequana », le projet de fusion avec les Banques populaires est piloté depuis l'Elysée. Conséquence de la crise financière qui oblige l'Etat à mettre les banques sous surveillance ? « Il faut bien se dire que depuis que l'on est passé sous le quinquennat et plus particulièrement sous la présidence de Nicolas Sarkozy, c'est l'Elysée qui commande », précise Charles Milhaud au juge.
Toutes les réunions Sequana se tiennent rue du Faubourg-Saint-Honoré, et quand Nicolas Sarkozy convoque le directeur du Trésor, le gouverneur de la Banque de France, le cabinet de la ministre des finances et l'autorité de tutelle des banques, François Pérol est toujours à la manoeuvre.
Il faut dire que les Caisses d'épargne, il connaît. Conseiller économique de Francis Mer à Bercy en 2003, il aide Charles Milhaud à mettre la main sur la banque de marché de la Caisse des dépôts, cette institution publique dont il n'a jamais admis l'utilité. En 2006, devenu banquier d'affaires chez Rothschild & Cie, il travaille à la création de la banque Natixis, commune aux Caisses d'épargne et aux Banques populaires.

UN RÔLE D'« INFORMATION » AUPRÈS DU PRÉSIDENT

Avec l'éviction de Charles Milhaud, remplacé par Bernard Comolet, un nouvel épisode s'ouvre : l'Etat a la possibilité d'accélérer la fusion avec les Banques populaires. François Pérol va s'y employer.
Au juge, le collaborateur de Nicolas Sarkozy assure n'avoir joué qu'un rôle d'« information » auprès du président. S'il a « rencontré » les dirigeants des deux banques, c'était « pour les écouter sur l'évolution de la situation ».
En réalité, de nombreux témoignages montrent un homme qui pilote, coordonne, anime les réunions. « La fusion des deux banques était, pour ce que j'en ai vu, traitée par François Pérol qui était seul compétent en matière d'affaires économiques et financières », déclare l'avocat François Sureau, alors conseil du patron des Caisses d'épargne. « C'est Pérol qui menait les débats, confirme Alain Lemaire, le numéro deux de l'Ecureuil. Je me souviens d'échanges houleux, et notamment d'un où Pérol nous a mis la pression (…). Nous n'aurions jamais l'accord des pouvoirs publics si nous n'acceptions d'intégrer les filiales au futur organe central. »

« LE RAPPROCHEMENT DOIT ÊTRE LA PRIORITÉ » 

Dans le dossier du juge figurent aussi de nombreuses notes écrites par l'ancienconseiller« J'ai parlé du projet avec Christian Noyer [le gouverneur de la Banque de France], qui pense que ce rapprochement serait une bonne chose », écrit-il le 6 octobre 2008. « Les messages passés pourraient être les suivants. (…) La fusion doit être l'occasion de renforcer les deux banques (…) ; il faut renforcer le management », ajoute-t-il le 14 octobre.
Le 28 octobre : « Le rapprochement avec les Banques populaires doit être la priorité. Il faut aller aussi vite que possible. » Le « rapprochement (…) passe par une disposition législative, nous devrons définir avec eux les nouvelles règles de gouvernance ».
La décision prise de propulser le conseiller de l'Elysée à la tête de la nouvelle banque, il reste une « petite » formalité à accomplir : obtenir l'aval de la Commission de déontologie. L'instance encadre le passage des fonctionnaires vers le privé. Olivier Fouquet, son président, reçoit un premier appel du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, le soir du 20 février. François Pérol va êtrenommé dans la semaine, combien de temps faut-il pour que la commission rende un avis ? La consultation est-elle obligatoire ?

« VOUS SAVEZ BIEN QUE CE N'EST PAS UN AVIS FAVORABLE ! »

Olivier Fouquet reste sans voix. « M. Guéant ignorait tout du fonctionnement de la commission (…), du délai d'instruction des affaires », se souvient-il. Le conseillerd'Etat propose de préciser par écrit les conditions de saisine de la commission en fonction du rôle joué par M. Pérol tel qu'il lui est présenté. Le lundi, Claude Guéant rappelle, impatient : la nomination officielle a lieu dans deux jours. Olivier Fouquet fait porter sa note le mardi matin à l'Elysée.

C'est cette lettre, arrachée au conseiller d'Etat, que l'Elysée brandit à la presse comme un feu vert des sages. « La Commission de déontologie a donné son point de vue (…). Il sera rendu public et vous verrez qu'une fois de plus, c'est la différence entre une polémique et un problème, de problème il n'y en a pas », plastronne Nicolas Sarkozy depuis Rome où il assiste à un sommet franco-italien. Olivier Fouquet appelle M. Guéant, furieux. « Vous savez bien que ce n'est pas un avis favorable » ! Ce dernier admet « un raccourci » du président.
« Avez-vous eu des contacts avec MM. Guéant et Pérol ? » ensuite , demande le juge à Olivier Fouquet. « Aucun. La seule retombée que j'ai eue est celle d'Emmanuelle Mignon »« ma collègue du Conseil d'Etat ». L'ancienne directrice de cabinet de Sarkozy est allée « protester contre la façon honteuse dont M. Guéant » avait « traité » M. Fouquet

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire