Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Emeline Cazi
François Pérol, le 22 juin à Paris. BERTRAND GUAY / AFP
Le président Peimane
Ghaleh-Marzban avait tenu à préciser le cadre des débats dès le premier jour
d’audience : « Ce
procès n’est pas le procès de je ne sais quel système ou de je ne sais quelle
manière de fonctionner… » Le
sous-entendu du tribunal qui pendant deux semaines allait juger l’un des plus
proches collaborateurs du président Sarkozy était clair : il s’agit ici de
juger François Pérol, dont la nomination controversée à la tête du groupe
bancaire BPCE, en 2009, lui vaut de comparaître pour prise illégale
d’intérêt six ans plus tard, et non celui qui l’a désigné à ce poste, à savoir
Nicolas Sarkozy.
Cette précision faite, l’audience qui se
tient depuis le 22 juin devant le tribunal correctionnel de Paris a
inévitablement fait des détours par l’Elysée, et donné un petit aperçu de ce
qu’avait pu être l’exercice du pouvoir entre 2007 et 2012, en ces
temps d’hyperprésidence. Pour comprendre comment l’ancien chef de l’Etat
— un homme « qui
n’hésitait pas à dire qu’il s’occupait de beaucoup de choses », et
« s’emparait de tout », a
convenu François Pérol — avait pu avoir l’idée de désigner l’un de ses plus
proches collaborateurs à la tête d’une entreprise dont la naissance avait été
suivie de près par l’exécutif, il fallait bien tenter de percer le mystère.
Lire (édition
abonnés) : Au
tribunal, François Pérol dépeint l’Elysée en scène de théâtre, et non en lieu
de pouvoir
« Ce procès n’est pas
celui d’un système », a admis Me Jérôme Karsenti, l’un des
avocats des parties civiles dont le moment est venu de plaider, ce
mardi 30 juin. « Mais
tout procès a son esprit, et celui-ci nous plonge au cœur du pouvoir (…), et au cœur des années Sarkozy, ces
années des affaires, ces années d’ambivalence », durant lesquelles « la République a été malmenée, et la dignité
n’était pas au pouvoir ». Me Karsenti parle ici au nom
du syndicat CGT des Caisses d’Epargne mais, en filigrane, c’est aussi le conseil
historique de l’association Anticor qui s’exprime. Très vite, il a abordé ces
questions d’éthique et a rappelé le devoir d’exemplarité auquel est astreint,
selon lui, tout politique. « François
Pérol n’était pas un politique en tant que tel, a-t-il précisé. Mais comme secrétaire général adjoint
de l’Elysée, il avait nécessairement une fonction politique. »
Bac philo
Les auteurs des sujets de l’épreuve du bac
philo ont d’ailleurs été bien inspirés cette année en posant cette question aux
candidats des séries scientifiques, a pensé l’avocat : « La politique échappe-t-elle à
l’exigence de vérité ? » « Si je devais répondre sous la forme
thèse-antithése-synthèse, alors je dirais que la raison d’Etat peut parfois
exiger que la politique échappe à une forme de vérité. Mais quand il s’agit du
fonctionnement des institutions, c’est-à-dire du rapport des citoyens aux
institutions, alors à l’évidence l’exigence de vérité s’impose. »
Me Karsenti pourrait disserter des heures sur ces notions « de probité publique, ces
questions qui touchent au fonctionnement de la démocratie et des
institutions » et
celle, centrale, du conflit d’intérêts. Il parlait déjà depuis près d’une heure
lorsqu’il s’est tourné vers François Pérol. « Je
ne sais pas si l’intérêt général a été servi ou pas avec votre nomination à la
tête de la BPCE. Mais ce que je sais en revanche, c’est que la loi a été
malmenée, bafouée, et que l’on a fabriqué du soupçon. Or, le soupçon, c’est ce
qui est au cœur de la crise du régime et c’est ce qui tuera la République. Si
le politique n’a pas l’idée constamment en tête qu’il lui faut être exemplaire,
alors il fabrique l’abandon des urnes et la montée du populisme. »
« Evidemment, ce
procès est celui de François Pérol », a prolongé Me Henri Moura, en écho lui aussi au préambule du président du
tribunal qui refusait que l’on juge « un
système ». « Mais
il est aussi la quintessence, le reflet de ce système de pantouflage, avec ces
allers-retours [des
hauts fonctionnaires] entre
le public et le privé qui exposent au conflit d’intérêts. » Son client, un professeur à la
retraite, sociétaire historique des Banques populaires, s’est d’ailleurs
constitué partie civile pour « exprimer
son mécontentement » face
à la multiplication de ce type d’affaires. « Cette
affaire est désastreuse pour l’image de la politique, pour l’image des grands
commis de l’Etat, parce qu’elle porte l’opprobre sur le fonctionnement des
institutions », a
poursuivi Me Moura. C’est pour porter
cette parole que son client est allé au bout de la procédure, même s’il ne
demande que l’euro symbolique de dommages et intérêts.
Récidive et mauvaise foi
La tenue de ce procès peut-elle avoir valeur
d’exemple et contribuer à une prise de conscience ? Sur cette « question déontologique » du conflit d’intérêt, « François Pérol est en
récidive », a fait remarquer Me Daniel Richard, avocat de parties civiles spécialisé dans la
défense des épargnants. En 2004, lorsqu’il quitte le cabinet du ministre
des finances dont il était le directeur adjoint pour rejoindre la banque
Rotschild, l’inspecteur général des finances saisit la commission de
déontologie de la fonction publique. La loi interdit en France à un agent de
l’Etat de travailler pour une entreprise qu’il a surveillée, conseillée ou sur
laquelle il aurait formulé des avis, dans les trois ans précédant son passage
du public au privé. La commission, dont la doctrine est réputée assez libérale
sur le sujet, rend un avis favorable, sous réserve que M. Pérol ne
travaille pas sur les dossiers sur lesquels il est intervenu à Bercy.
La suite est une histoire de lecture et
d’analyse des textes. François Pérol a eu une compréhension pour le moins
étonnante de l’avis des sages. Ainsi ne voit-il pas le problème d’avoir
participé comme
associé-gérant de la banque Rotschild
à la création de la banque Natixis, née du mariage de Netixis et d’Ixis, alors
qu’il avait justement suivi le dossier de privatisation d’Ixis à Bercy. « Si la commission de déontologie
avait voulu m’interdire d’intervenir pour telle ou telle banque, elle l’aurait
précisé », a
t-il répondu très calmement, au tribunal la semaine dernière. La procureure
Ulrika Weiss n’a guère été convaincue par ces explications et « l’absolue bonne foi » dont s’est réclamée
M. Pérol. Ses réquisitions sont attendues jeudi 2 juillet.
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