Licenciement de la femme enceinte
LE MONDE | 13.01.2016 à 16h42 • Mis à jour le 14.01.2016 à 07h26 | Par Gaëlle Picut
Les femmes enceintes bénéficient de garanties
solides et très protectrices contre le licenciement. Imaginons un employeur qui
licencie une femme alors qu’il ignore son état de grossesse. L’article
L. 1225-5 du code du travail prévoit que son licenciement est considéré
comme nul dès lors que la salariée envoie à son employeur un certificat médical
justifiant de son état de grossesse dans un délai de quinze jours à compter de la notification de licenciement.
Cette protection s’applique dès la date d’expédition du certificat médical de grossesse et non pas seulement à compter de la
date de réception de celui-ci par l’employeur.
Un arrêt du
2 juillet 2014 de la Cour de cassation a même précisé que le licenciement
devait être annulé, que la grossesse ait débuté
avant le licenciement ou après le licenciement. Ainsi une grossesse datée de
deux jours après la notification de licenciement peut annuler celui-ci. Seul importe le fait qu’un
certificat médical de grossesse soit envoyé à l’employeur avant l’expiration de
ce délai de 15 jours.
Indemnité minimum de
six mois de salaire
L’employeur a alors
l’obligation de revenir au plus vite sur sa décision de licencier et de proposer à la salariée de réintégrer son poste (ou un emploi similaire).
Celle-ci est alors tenue d’accepter sauf si l’employeur tarde à faire sa proposition de réintégration.
S’il tarde trop, la
salariée peut alors demander des indemnités. Un arrêt de la Cour de
cassation du 15 décembre 2015 (n° 14-10.522) vient de le rappeler. Dans cette
affaire, l’employeur avait attendu plus d’un mois pour proposer à la salariée
de réintégrer son poste. La Cour de cassation a considéré cette décision trop
tardive. Par conséquent la salariée n’était plus tenue d’accepter la
réintégration proposée.
De plus, cela lui a
ouvert le droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins
égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant
du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus
pendant la période couverte par la nullité. « Ainsi, dès lors qu’il est
informé de l’état de grossesse de la salariée licenciée, l’employeur doit réagir dans un délai court et ne pas chercher à faire traîner les choses », résume Carole Vercheyre-Grard, avocate
en droit du travail et droit des affaires.
Un droit très encadré
Est-il pour autant
impossible de licencier une femme enceinte ? Le code du travail a prévu
deux motifs pour lesquels l’employeur peut maintenir ou prononcer un licenciement à l’encontre d’une
femme enceinte : en cas de faute grave ou d’impossibilité de maintenir le
contrat de travail, en raison d’une circonstance étrangère à l’état, ou à la
situation de la salariée. Mais ces deux possibilités sont elles aussi très
encadrées.
En cas de licenciement
pour faute grave, le juge vérifiera si les faits fautifs reprochés sont liés ou
non à l’état de grossesse. Il est arrivé à plusieurs reprises que la Cour de
cassation n’accepte pas ce motif. En effet, la jurisprudence admet que la
grossesse puisse modifier les comportements, exacerber certaines réactions, et se montre donc
plutôt bienveillante.
Ainsi, la Cour de
cassation a censuré plusieurs affaires de licenciement pour faute grave
estimant que les juges n’avaient pas vérifié que les manquements n’étaient pas
en lien avec l’état de grossesse. Une faute qualifiée de grave en temps normal
peut donc perdre cet attribut lorsqu’elle est le fait
d’une salariée enceinte.
La faute grave ne
l’est plus
Toutefois, la maternité
ne peut pas tout excuser et la faute grave peut aussi parfois
être retenue. Ainsi la cour d’appel de Lyon a décidé dans un arrêt du
11 décembre 2013, qu’une salariée enceinte s’étant connectée de manière
abusive sur internet nuisait au bon fonctionnement de l’entreprise et que son
licenciement pour faute grave était donc justifié.
Autre exemple : la
Cour de cassation a retenu ce motif dans le cas d’une salariée ayant commis des
erreurs, pour la plupart avant sa grossesse et a estimé que leur répétition
révélait une mauvaise volonté délibérée de sa part (Cass. soc., 21 mars
2012, n° 11-10.944).
De la même façon, la
simple mention « motifs économiques » ne caractérise pas, à elle seule,
l’impossibilité de maintenir le contrat et n’est donc pas un motif de
licenciement. La jurisprudence est même plutôt sévère avec les employeurs.
Ainsi, la Cour de
cassation a estimé à travers différents arrêts que la suppression du poste
concerné après une restructuration, la compression d’effectifs ou encore la
cession totale de l’entreprise ne constituaient pas des raisons valables pour
licencier une salariée en congé de maternité ou enceinte (Cass. soc.
6 janvier 2010, n°08-44.626 ; Cass. soc. 24 octobre 2000,
n°98-41937 ; Cass. soc. 21 janvier 2009, n°07-41841, Cass. so.
21 mai 2008 n°07-41.179).
La Haute juridiction
exige que le motif autorisant exceptionnellement le licenciement d’une femme
enceinte figure explicitement dans la lettre de licenciement. « Il
faut être particulièrement vigilant sur la motivation et la précision de la
lettre de licenciement et ce peu importe que le licenciement s’inscrive dans un
ensemble de licenciements pour motif économique en respectant les règles
relatives à de tels licenciements », insiste Carole Vercheyre-Grard.
Afin que le licenciement
soit reconnu valable, les employeurs doivent donc impérativement prouver en quoi le maintien du contrat pendant
la période de protection de la femme enceinte était impossible (par exemple
impossibilité de reclassement).
Protection totale
pendant le congé maternité
Enfin, pendant le congé
maternité, la protection des femmes enceintes est absolue : aucun
licenciement, quel qu’en soit le motif (faute grave ou motif économique), ne
peut intervenir pendant la période de suspension du
contrat de travail à laquelle la salariée a droit avant et après
l’accouchement, y compris en cas de majoration conventionnelle de la durée du
congé de maternité.
A l’issue du congé de
maternité, la protection prévue est prolongée pendant les quatre semaines après
la fin du congé légal ou conventionnel de maternité, éventuellement prolongé
pour raisons pathologiques.
Carole Vercheyre-Grard
estime que les dossiers de licenciement de femmes enceintes sont de moins en
moins fréquents, sauf parfois dans de petites structures qui ne sont pas très
au fait du droit du travail, par exemple, concernant la prolongation de la
période de protection à l’issue du congé maternité.
Les secteurs les plus
touchés par les contentieux sont le commerce, l’hôtellerie et la restauration.
En revanche, elle constate une augmentation des contentieux liés à la
discrimination salariale ou à l’évolution de carrière, notamment lors d’un retour
de congé maternité. « Ce nombre croissant de dossiers
est peut-être aussi le signe que désormais les femmes osent davantage en parler et porter l’affaire devant les juges », précise l’avocate. Dans son rapport
annuel d’activité publié fin janvier 2015, le Défenseur des droits
écrivait « en dépit de la clarté des
textes et de la jurisprudence, le Défenseur des droits est encore massivement
saisi dans tous les secteurs de situations de mesures défavorables, voire
hostiles, en lien avec le congé maternité ou la grossesse ».
·
Gaëlle Picut
Journaliste au Monde
Journaliste au Monde
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