23 janvier 2016

CFTC BPCE Sa,INFOS :Licenciement de la femme enceinte sous haute surveillance

Licenciement de la femme enceinte

LE MONDE | 13.01.2016 à 16h42 • Mis à jour le 14.01.2016 à 07h26 | Par Gaëlle Picut

Les femmes enceintes bénéficient de garanties solides et très protectrices contre le licenciement. Imaginons un employeur qui licencie une femme alors qu’il ignore son état de grossesse. L’article L. 1225-5 du code du travail prévoit que son licenciement est considéré comme nul dès lors que la salariée envoie à son employeur un certificat médical justifiant de son état de grossesse dans un délai de quinze jours à compter de la notification de licenciement. Cette protection s’applique dès la date d’expédition du certificat médical de grossesse et non pas seulement à compter de la date de réception de celui-ci par l’employeur.


Un arrêt du 2 juillet 2014 de la Cour de cassation a même précisé que le licenciement devait être annulé, que la grossesse ait débuté avant le licenciement ou après le licenciement. Ainsi une grossesse datée de deux jours après la notification de licenciement peut annuler celui-ci. Seul importe le fait qu’un certificat médical de grossesse soit envoyé à l’employeur avant l’expiration de ce délai de 15 jours.

Indemnité minimum de six mois de salaire

L’employeur a alors l’obligation de revenir au plus vite sur sa décision de licencier et de proposer à la salariée de réintégrer son poste (ou un emploi similaire). Celle-ci est alors tenue d’accepter sauf si l’employeur tarde à faire sa proposition de réintégration.
S’il tarde trop, la salariée peut alors demander des indemnités. Un arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2015 (n° 14-10.522) vient de le rappeler. Dans cette affaire, l’employeur avait attendu plus d’un mois pour proposer à la salariée de réintégrer son poste. La Cour de cassation a considéré cette décision trop tardive. Par conséquent la salariée n’était plus tenue d’accepter la réintégration proposée.
De plus, cela lui a ouvert le droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité. « Ainsi, dès lors qu’il est informé de l’état de grossesse de la salariée licenciée, l’employeur doit réagir dans un délai court et ne pas chercher à faire traîner les choses », résume Carole Vercheyre-Grard, avocate en droit du travail et droit des affaires.

Un droit très encadré

Est-il pour autant impossible de licencier une femme enceinte ? Le code du travail a prévu deux motifs pour lesquels l’employeur peut maintenir ou prononcer un licenciement à l’encontre d’une femme enceinte : en cas de faute grave ou d’impossibilité de maintenir le contrat de travail, en raison d’une circonstance étrangère à l’état, ou à la situation de la salariée. Mais ces deux possibilités sont elles aussi très encadrées.
En cas de licenciement pour faute grave, le juge vérifiera si les faits fautifs reprochés sont liés ou non à l’état de grossesse. Il est arrivé à plusieurs reprises que la Cour de cassation n’accepte pas ce motif. En effet, la jurisprudence admet que la grossesse puisse modifier les comportements, exacerber certaines réactions, et se montre donc plutôt bienveillante.
Ainsi, la Cour de cassation a censuré plusieurs affaires de licenciement pour faute grave estimant que les juges n’avaient pas vérifié que les manquements n’étaient pas en lien avec l’état de grossesse. Une faute qualifiée de grave en temps normal peut donc perdre cet attribut lorsqu’elle est le fait d’une salariée enceinte.

La faute grave ne l’est plus

Toutefois, la maternité ne peut pas tout excuser et la faute grave peut aussi parfois être retenue. Ainsi la cour d’appel de Lyon a décidé dans un arrêt du 11 décembre 2013, qu’une salariée enceinte s’étant connectée de manière abusive sur internet nuisait au bon fonctionnement de l’entreprise et que son licenciement pour faute grave était donc justifié.
Autre exemple : la Cour de cassation a retenu ce motif dans le cas d’une salariée ayant commis des erreurs, pour la plupart avant sa grossesse et a estimé que leur répétition révélait une mauvaise volonté délibérée de sa part (Cass. soc., 21 mars 2012, n° 11-10.944).
De la même façon, la simple mention « motifs économiques » ne caractérise pas, à elle seule, l’impossibilité de maintenir le contrat et n’est donc pas un motif de licenciement. La jurisprudence est même plutôt sévère avec les employeurs.
Ainsi, la Cour de cassation a estimé à travers différents arrêts que la suppression du poste concerné après une restructuration, la compression d’effectifs ou encore la cession totale de l’entreprise ne constituaient pas des raisons valables pour licencier une salariée en congé de maternité ou enceinte (Cass. soc. 6 janvier 2010, n°08-44.626 ; Cass. soc. 24 octobre 2000, n°98-41937 ; Cass. soc. 21 janvier 2009, n°07-41841, Cass. so. 21 mai 2008 n°07-41.179).
La Haute juridiction exige que le motif autorisant exceptionnellement le licenciement d’une femme enceinte figure explicitement dans la lettre de licenciement. « Il faut être particulièrement vigilant sur la motivation et la précision de la lettre de licenciement et ce peu importe que le licenciement s’inscrive dans un ensemble de licenciements pour motif économique en respectant les règles relatives à de tels licenciements », insiste Carole Vercheyre-Grard.
Afin que le licenciement soit reconnu valable, les employeurs doivent donc impérativement prouver en quoi le maintien du contrat pendant la période de protection de la femme enceinte était impossible (par exemple impossibilité de reclassement).

Protection totale pendant le congé maternité


Enfin, pendant le congé maternité, la protection des femmes enceintes est absolue : aucun licenciement, quel qu’en soit le motif (faute grave ou motif économique), ne peut intervenir pendant la période de suspension du contrat de travail à laquelle la salariée a droit avant et après l’accouchement, y compris en cas de majoration conventionnelle de la durée du congé de maternité.
A l’issue du congé de maternité, la protection prévue est prolongée pendant les quatre semaines après la fin du congé légal ou conventionnel de maternité, éventuellement prolongé pour raisons pathologiques.
Carole Vercheyre-Grard estime que les dossiers de licenciement de femmes enceintes sont de moins en moins fréquents, sauf parfois dans de petites structures qui ne sont pas très au fait du droit du travail, par exemple, concernant la prolongation de la période de protection à l’issue du congé maternité.
Les secteurs les plus touchés par les contentieux sont le commerce, l’hôtellerie et la restauration. En revanche, elle constate une augmentation des contentieux liés à la discrimination salariale ou à l’évolution de carrière, notamment lors d’un retour de congé maternité. « Ce nombre croissant de dossiers est peut-être aussi le signe que désormais les femmes osent davantage en parler et porter l’affaire devant les juges », précise l’avocate. Dans son rapport annuel d’activité publié fin janvier 2015, le Défenseur des droits écrivait « en dépit de la clarté des textes et de la jurisprudence, le Défenseur des droits est encore massivement saisi dans tous les secteurs de situations de mesures défavorables, voire hostiles, en lien avec le congé maternité ou la grossesse ».

·         Gaëlle Picut 
Journaliste au Monde

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