Le géant du e-commerce maltraite ses salariés, en créant une incroyable pression basée sur la délation afin d’améliorer la productivité, rapporte le “New York Times”.
Charlie Chaplin dans son film “Les Temps modernes” (AP/SIPA)
Chez Amazon, un “implacable Darwinisme” est à l’œuvre. C’est en tout cas ce qu’affirme le “New York Times” dans une longue enquête sur les conditions de travail des salariés du géant du e-commerce, selon laquelle les “losers” (les “perdants”) sont virés ou partent lors d’écrémages annuels. Ces perdants sont des employés évincés parce qu’ils souffraient d’un cancer, d’une fausse-couche ou de toute autre crise personnelle, rapporte au quotidien un ancien DRH de l’entreprise américaine.
Le “New York Times” décrit ainsi un environnement où les salariés sont dressés les uns contre les autres pour améliorer la productivité.
Presque toutes les personnes avec qui je travaille, je les ai vues pleurer à leur bureau”, raconte notamment l’un d’entre eux.
“Il y a tellement de turn-over [renouvellement du personnel, NDLR] que l’on commence à considérer les autres comme des choses interchangeables”, renchérit une autre. “On sait que demain, il y a un risque que les personnes autour de soi soient parties ou aient été virées.”
Des salariés transformés en robots
Un robot créé avec des cartons Amazon (20 minutes/Libert/Sipa)
Les “bons éléments” sont surnommés en interne “Amabots”, soit littéralement les “robots d’Amazon”. Mais pour atteindre ce stage, les salariés doivent, en plus d’éviter tout souci de santé, se plier à des horaires de travail épuisants et plaire à leurs managers à tout prix, qui les évaluent sans cesse.
La surveillance se fait également entre collègues. En effet, Amazon propose un outil intitulé “Anytime Feedback Tool” qui permet à quiconque de commenter le travail de son collègue. Officiellement, il s’agit de suggestions pour améliorer les performances de l’équipe. En réalité, le logiciel permettrait de classer les employés, afin de se défaire des derniers. Surtout que certains s’allient pour dénoncer en même temps une même personne, qui sera généralement rapidement renvoyée.
Amazon a déjà été mis en cause par le passé pour les conditions de travail qu’il impose notamment aux travailleurs de ses centres de traitement de commandes. En mai 2013, le journaliste Jean-Baptiste Malet racontait ainsi à “l’Obs” sa “saison” à l’entrepôt Amazon de Montélimar. Déjà, il décrivait un géant américain qui transforme ses recrues en “robots” hébétés, soumis à des objectifs de productivité croissants, contrôlés en temps réel par des leaders, eux-mêmes sous la pression de managers.
“Amazon mène une expérience pour voir jusqu’où il peut pousser ses cols-blancs”, conclut le “New York Times”.
“Je ne reconnais pas cet Amazon”
Le fondateur et PDG d’Amazon, Jeff Bezos, a réfuté les faits avancés par l’article. Dans une note envoyée aux 150.000 salariés à travers le monde, il lance :
[Le ‘New York Times’] affirme que notre approche intentionnelle consiste à créer un lieu de travail sans âme, dystopique, où on ne s’amuse pas et où on n’entend pas de rires. Je ne reconnais pas cet Amazon, et j’espère vraiment que vous non plus. Plus généralement, je ne pense pas qu’une entreprise adoptant l’approche décrite pourrait survivre, et encore moins prospérer, dans le marché hautement compétitif actuellement pour les embauches dans le secteur technologique.”
“Nous travaillons dur, et nous nous amusons”, écrit Nick Ciubotariu, un salarié d’Amazon, dans un billet publié sur LinkedIn. Tout en disant avoir “entendu toutes les horribles histoires du passé”, il assure : “Pendant mes 18 mois chez Amazon, je n’ai jamais travaillé un seul week-end sans le vouloir. Personne ne me dit de travailler la nuit. Personne ne me fait répondre à des e-mails la nuit. Personne ne m’envoie de texto pour me demander pourquoi des e-mails sont restés sans réponse.”
J’ai discuté avec des centaines de vétérans d’Amazon, hommes et femmes, pendant 20 ans. Pas un seul pensait que ce n’était pas un bon endroit pour travailler”, a renchérit Marc Andreessen, fondateur de Netscape et capital-risqueur bien connu dans la Silicon Valley.
“Cet article sur Amazon semble critiquer une culture qui, de beaucoup de manières, est gagnante et innovante”, a commenté Josh Elman, de la société d’investissement Greylock Partners.
“Je ne ferai plus d’achats sur Amazon”
L’article du “New York Times” sort alors qu’Amazon n’a jamais été aussi haut en Bourse et que son patron Jeff Bezos est devenu l’une des personnes les plus riches du monde avec une fortune récemment estimée à 47,8 milliards de dollars par le magazine “Forbes”.
L’article a généré plus de 5.000 commentaires de lecteurs sur le site internet du quotidien, certains consommateurs trouvant les pratiques suffisamment dérangeantes pour renoncer aux services du géant du e-commerce.
J’ai annulé mon adhésion à Audible, supprimé mon application Kindle, et ne ferai plus d’achats sur Amazon”, affirme Katie, une lectrice du “New York Times“. “Je ne peux pas soutenir une entreprise qui crée si volontairement un environnement négatif pour ses salariés. C’est dégoûtant, c’est immoral, et j’espère que d’autres pensent comme moi après avoir lu cet article.”
D’autres en revanche défendent l’entreprise : “Le travail n’est pas une garderie pour adultes”, estime un lecteur baptisé “Seattle Guy”. “Ce pays ne s’est pas construit avec des semaines de travail de 40 heures et en traitant le bureau comme un club social. L’Amérique a besoin de davantage d’entreprises comme Amazon qui exigent davantage de ses salariés, et les récompense en conséquence.”
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