27 juin 2014

Cadeaux aux salariés : l'ancienneté et la présence sont discriminatoires !!

JOAN Q no 43931, 6 mai 2014, p. 3688Cadeaux aux salariés : l'ancienneté et la présence sont discriminatoires
Le 26 novembre dernier, un député a interrogé le ministère du Travail sur le traitement des cadeaux attribués aux salariés par les entreprises ou les CE. 

En effet, l’Urssaf semble considérer que refuser de les attribuer à des salariés qui n’ont pas suffisamment d’ancienneté ou qui ne sont pas présents dans l’entreprise est discriminatoire. Le 6 mai dernier, le ministre a approuvé l’Urssaf et renvoyé à la publication d’une circulaire. Cette solution qui vaut selon nous pour toutes les ASC non soumises à cotisations, invite les CE à la plus grande prudence.


Le problème posé

Le député Hervé Pellois a questionné le ministre du Travail pour avoir un éclairage quant à la pratique de certaines entreprises ou de certains CE consistant à offrir des chèques-cadeaux à leurs salariés, à Noël, en fonction de critères d’ancienneté (au moins 6 mois pour un CDD et 3 ans pour un CDI), ou de présence (excluant des salariés absents pour maladie depuis 6 mois et plus, ainsi que des salariés en congé parental à taux plein). En effet, il précise que, bien que ces critères « s’appliquent à l’ensemble des salariés, de manière générale, sans prendre en considération ni la personne, ni sa catégorie professionnelle ou son affiliation syndicale », l’Urssaf considère l’ancienneté et la présence effective sur l’année comme des éléments discriminatoires. Dans un tel cas de figure, elle soumet ces prestations aux cotisations sociales. Le député demande donc au ministre de préciser les règles « pour éviter tout risque de mauvaise interprétation ».

Remarque : si la question ne vise que les chèques-cadeaux, les cadeaux en nature ou les bons d’achat sont bien évidemment aussi concernés. En effet, quand les salariés bénéficient de plusieurs de ces prestations alors elles doivent se cumuler pour apprécier si oui ou non des cotisations sont dues (Lettre-circ. Acoss no 1996-94, 3 déc. 1996).

La réponse du ministre du Travail

Dans sa réponse, le ministre du Travail commence par rappeler que « tout cadeau ou bon d’achat offert par le CE ou par un employeur directement à son salarié constitue un élément accessoire de sa rémunération qui doit être assujetti, en tant que tel, aux cotisations et contributions sociales, dans les conditions de droit commun ». Mais il y a une tolérance de la part de l’administration, quand les cadeaux attribués sur l’année représentent un montant inférieur à 5 % du plafond de la Sécurité sociale à savoir 156 € en 2014. Dans ce cas, en effet, l’administration considère qu’il n’y a pas lieu de les soumettre à cotisations.

Remarque : quand le montant global des cadeaux ou chèques-cadeaux dépasse sur l’année et par salarié, 156 euros, seuls les chèques-cadeaux ou cadeaux qui remplissent les 3 conditions cumulatives suivantes sont exonérés de cotisations sociales : être attribués pour certains évènements précis listés par l’Urssaf (mariage, Pacs, Noël, naissance, rentrée scolaire, etc.), ne pas dépasser les 156 euros précités, et avoir un usage déterminé qui soit conforme à l’évènement (pour la rentrée scolaire, une aide pour les fournitures, pour Noël, la possibilité d’acheter des jouets, etc.).


Le ministre précise ensuite que « les employeurs, comme les CE, peuvent, dans le cadre de leur politique sociale et en dehors de l’octroi de secours, utiliser des critères leur permettant de réserver ou de moduler les avantages accordés aux salariés. C’est même indispensable si le CE veut attribuer de façon équitable les activités issues de son budget ASC.

Mais, poursuit-il « ces critères ne peuvent se référer à des éléments dont l’utilisation constitue une discrimination au sens de l’article L. 225-1 du Code pénal ». Et il ajoute que « s’il y a une différence de traitement entre les salariés au regard d’un même avantage, elle « doit être fondée sur des raisons objectives et pertinentes ».

Il résulte de sa réponse que le CE doit respecter deux principes quand il attribue des ASC aux salariés :
  • ne jamais choisir de critères discriminatoires ; cela élimine tous les critères visés par l’article L. 1132-1 du Code du travail et L. 225-1 du Code pénal à savoir : l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation ou l’identité sexuelle, l’âge, la situation de famille ou la grossesse, les caractéristiques génétiques, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l’apparence physique, le nom de famille, le lieu de résidence, l’état de santé ou le handicap ;
  • et quand il choisit des critères, ceux-ci doivent impérativement être objectifs et pertinents ; par exemple des bons réservés à l’achat de fourniture scolaire peuvent être réservés aux salariés ayant la charge effective d’enfants scolarisés et modulés en fonction des ressources du foyer fiscal.


Une solution dans le respect de la position des juges et de l’administration

Sa réponse est dans la ligne droite de la position adoptée par la jurisprudence et l’administration du travail.
Rappelons en effet que la Cour de cassation avait en 2008 refusé que le CE prenne en compte comme critère d’attribution des ASC, l’appartenance syndicale (Cass. soc., 16 avr. 2008, no 06-44.839 : ici le montant de remboursement des frais de formation par le CE aux salariés partant en congé de formation économique, sociale et syndicale dépendait de l’appartenance syndicale), ou encore la catégorie professionnelle (Cass. soc., 20 févr. 2008, no 05-45.601 : ici l’employeur avait décidé de ne pas octroyer de titres-restaurant aux cadres, réservant cet avantage aux salariés non-cadres).


Par ailleurs, le ministre du Travail, saisi en 2011 d’une question ministérielle sur la pratique de certains CE excluant du bénéfice des ASC les salariés en longue maladie de plus de 2 ans, avait alors rappelé dans sa réponse « qu’il ressort en outre de la jurisprudence que toute activité doit, pour pouvoir être qualifiée d’activité sociale et culturelle, ne pas être discriminatoire ». Il avait ajouté que « les tribunaux veillent (...) à ce que ces derniers adoptent des grilles de répartition basées sur des critères objectifs, et appliquent ces grilles sans discrimination ». Dès lors, « les avantages et prestations proposées par le CE ne doivent, d’une manière générale, prendre en considération ni la personne, ni la catégorie professionnelle, ni l’affiliation syndicale du salarié » (Rép. min., 13 déc. 2011 ; JO Ass. Nat. Q. no 84460, 13 déc. 2011, p. 13125). Aussi, l’exclusion de salariés en longue maladie du bénéfice des ASC, dans ces conditions, « pouvait paraitre comme constituant une discrimination liée à l’état de santé du salarié, susceptible d’être sanctionnée par les tribunaux ».

Ce sont ces deux principes que rappelle le ministre du Travail dans sa réponse ministérielle du 6 mai 2014. Les CE ne peuvent dès lors pas se référer « à des éléments dont l’utilisation constitue une discrimination au sens de l’article L. 225-1 du Code pénal » (ce sont les mêmes motifs que ceux visés par le Code du travail : C. trav., art. L. 1132-1) et la différence de traitement entre les salariés au regard d’un même avantage « doit être fondée sur des raisons objectives et pertinentes ». Il en résulte que sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, cette exigence n’apparait « pas compatible avec des critères en lien avec l’activité professionnelle tels que l’ancienneté ou la présence effective des salariés dans l’entreprise ».

Notre point de vue :
Le député visait dans sa question le congé parental à taux plein et l’arrêt maladie de plus de 6 mois mais cette solution vise tous les congés entrainant l’absence du salarié : congé maternité, congé parental, congé sabbatique, pour création d’entreprise, Cif, etc. Par ailleurs, cette solution rendue à propos des cadeaux doit selon nous s’appliquer à toutes les ASC exonérées de cotisations sociales servies par le CE qui sont en général attribuées en fonction de critères.

Une circulaire est attendue...

Le ministre annonce qu’une circulaire relative au régime social des prestations servies par les CE est en préparation. Elle permettra de préciser, au vu notamment de la jurisprudence existante, le régime social de ces avantages et d’apporter une clarification concernant les principes à retenir pour la modulation de leur attribution.

Notre point de vue :
Si vous prenez en compte ces critères, le risque de redressement est donc possible. Si vous n’avez pas encore attribué ces prestations, nous vous recommandons de suspendre vos démarches en attendant une clarification par la circulaire ou en tout cas, pour éviter tout risque, de bannir tout critère de présence ou d’ancienneté. Reste que si le CE doit éviter « tout critère en relation avec l’activité professionnelle tels que l’ancienneté ou la présence effective » et « tout critère subjectif », cela risque de devenir un vrai casse-tête pour trouver des critères d’attribution des ASC, sauf à privilégier systématiquement une modulation liée aux revenus (du foyer fiscal ou du salarié). La circulaire sera donc la bienvenue.


Auteur : Marie-Charlotte Tual Rédactrice en chef
Les cahiers Lamy du CE, N° 138
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