Dans une décision rendue le 22 mai (1), le Conseil d’Etat a validé la prise en compte par l’entreprise – qui, en cours de PSE, était dépourvue de système d’évaluation - de la prime d’assiduité pour apprécier les qualités professionnelles des salariés. Explications avec Jean-Martial Buisson, avocat associé, au cabinet Fromont Briens.
13/06/2019 Liaisons-sociales.fr
Jean-Martial Buisson, avocat associé, cabinet Fromont Briens.
Liaisons sociales : Est-ce la première fois qu'une décision de jurisprudence se prononce sur la légalité de la prise en compte des qualités professionnelles des salariés au regard du montant des primes d’assiduité ?
Jean-Martial Buisson : Si l’appréhension de la notion de « qualités professionnelles » en tant que critère d’ordre a suscité de nombreux contentieux ces dernières années, il s’agit à notre connaissance de la première fois que le Conseil d’Etat se prononce directement sur cette question. Il convient de rappeler qu’en absence de convention ou d’accord collectif fixant le contenu du PSE, l’employeur est tenu de prendre en compte les critères d’ordre légaux fixés par l’article L.1233-5 du Code du travail et parmi lesquels figure le critère des « qualités professionnelles appréciées par catégorie ». Or, la notion même de « qualités professionnelles » reste, par essence même, difficile à définir. Désormais, grâce à cette décision nous savons que l’employeur pourra, sous certaines conditions explicitement énumérées dans cet arrêt, tenir compte de la seule assiduité en tant qu’indicateur de l’aptitude professionnelle de ses salariés. L’assiduité pourra donc être prise en compte pour déterminer ainsi l’ordre des licenciements à intervenir, ce qui constitue une précision non-négligeable de la part du juge administratif et qui facilitera sans aucun doute cette étape si délicate de la définition et de la modulation des critères d’ordre par l’employeur.
LS : En quoi, l'assiduité peut-elle être considérée comme une qualité professionnelle ?
J.M. B. : Le juge exige, de manière constante, que l’employeur se fonde sur des éléments objectifs et vérifiables pour apprécier les qualités professionnelles de ses salariés (2). Pour vérifier la conformité des critères d’ordre retenus dans le document unilatéral et accorder l’homologation, l’autorité administrative puis le juge administratif en cas de contentieux s’attacheront donc à vérifier que l’employeur n’a pas effectué une appréciation subjective de l’aptitude professionnelle quels que soient les indicateurs choisis. Sous cette réserve, le Conseil d’Etat autorise donc l’employeur à faire preuve d’un certain degré d’imagination. Il ne faut pas d’ailleurs oublier qu’il s’agit, pour la plupart des salariés, d’une obligation professionnelle de « base ». L’employeur est donc légitime à tenir compte d’un tel critère pour apprécier l’aptitude professionnelle des collaborateurs dès lors que les conditions d’objectivité sont respectées.
LS : La prise en compte de l'assiduité comme critère de qualité professionnelle ne peut-elle pas revêtir un caractère discriminatoire, par exemple pour des salariés absents en raison de leur état de santé ?
J.-M. B. : La prise en compte de l’assiduité pourrait effectivement aboutir à « sanctionner » de manière déguisée les salariés dont les absences seraient dues à leur état de santé et donc à opérer une discrimination au sens de l’article L.1132-1 du Code du travail. Le juge administratif est bien évidemment conscient de ce risque. C’est la raison pour laquelle, il a été spécifié dans cette décision que « (…) l’existence, parmi les critères d’ordre des licenciements, d’un indicateur tiré du montant des primes d’assiduité versées par l’entreprise, corrigé des variations liées aux motifs légaux d’absence, permettait aux critères d’ordre fixés par le plan de prendre en compte les qualités professionnelles des salariés (…) ». La prise en compte des primes d’assiduité ne doit donc pas conduire à pénaliser les salariés absents en raison, par exemple, d’un accident du travail ou encore d’un congé maternité. Ce rédactionnel fait écho à la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet la licéité des primes d’assiduité à condition que les « absences pour maladie régulièrement justifiées » ou le « congé pour convenance personnelle » pris avec l’accord de l’employeur ne conduisent pas à baisser le montant versé à ce titre. A défaut, la différence de salaire existant entre deux salariés de ce fait, constituera une inégalité de traitement non-justifiée car discriminatoire (3). Si l’assiduité peut ainsi être prise en compte, il conviendra bien évidemment de s’assurer que les critères de calcul de cette prime sont en eux-mêmes licites et que le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi les précise.
LS : Cette décision pourrait-elle conduire à minorer l'importance d'un système d'évaluation des salariés…
J.-M. B. : En réalité, il n’en est rien. En effet, le juge administratif précise clairement qu’en l’espèce la société défenderesse était « dépourvue de tout système d’évaluation des salariés ». Le Conseil d’Etat aurait donc certainement retenu une position différente si un mécanisme d’évaluation objectif existait au sein de l’entreprise. Force est d’ailleurs de constater que par une autre décision rendue le même jour, le Conseil d’Etat a affirmé que l’employeur ne pouvait se référer au seul nombre d’absences injustifiées des salariés comme critère d’appréciation de leurs qualités professionnelles dès lors qu’il ressortait des éléments du dossier qu’un système d’évaluation professionnelle était pratiqué depuis des années au sein de la société (4).
Le Conseil d’Etat semble ainsi instaurer une certaine hiérarchie entre les indicateurs des qualités professionnelles de ses collaborateurs. Il semblerait néanmoins, par une lecture combinée de ces deux décisions, que l’employeur conserve la possibilité de tenir compte de ces deux indicateurs pour le cas où un système d’évaluation et un système d’appréciation de l’assiduité objectifs existeraient au sein de l’entreprise.
LS : Quelle est la portée de cet arrêt ?
J.-M. B. : La portée de cette décision est limitée puisque le juge administratif s’inscrit clairement dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’état rendue en la matière. Si l’employeur dispose d’une certaine liberté dans la détermination de l’indicateur ou des indicateurs retenus pour apprécier les compétences professionnelles de ces collaborateurs, ceux-ci devront répondre à l’exigence d’objectivité rappelée une nouvelle fois par le Conseil d’Etat. Sous cette réserve, force est de constater, et c’est notable, que le juge administratif s’efforce de faire preuve de pragmatisme. Il ne s’agit donc aucunement d’un chamboulement de la jurisprudence administrative rendue en la matière mais plutôt d’une étape supplémentaire dans la définition de la notion de « qualités professionnelles » et cela dans un contexte bien particulier (en absence d’accord collectif définissant les critères d’ordre et en absence de système d’évaluation de l’aptitude professionnelle du salarié).
Propos recueillis par Jean-François Rio
(1) Conseil d’Etat, 22 mai 2019 n°413342
(2) Cass. Soc., 4 avril 1995, no 93-44.611 ; Cass. Soc., 21 novembre 2006, no 05-40.656
(3) Cass. Soc., 9 avril 2002, no 99-44.534
(4) CE, 22 mai 2019, no 418090
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