14 janvier 2019

Le plafonnement des indemnités prud’homales est-il réellement menacé ?



>Économie|Aurélie Sipos|10 janvier 2019, 13h47|MAJ : 10 janvier 2019, 13h57|0



Depuis septembre 2017, ce plafonnement encadre strictement la fixation des indemnités accordées par les prud'hommes dans le cas d'un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. LE PARISIEN

Trois décisions consécutives ont balayé le plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement abusif mis en place en début de quinquennat. Decryptage.
La mesure phare des ordonnances Travail de Macron a-t-elle du plomb dans l’aile ? Ces derniers mois, trois décisions judiciaires ont instillé le doute. Les conseillers prud’homaux de Troyes (Aube), d’Amiens (Picardie) et de Lyon (Rhône) ont décidé de ne pas appliquer les nouveaux barèmes de dommages et intérêts prévus pour les salariés dans le cadre d’un licenciement abusif. Des décisions qui entretiennent le flou sur la suite des procédures. Decryptage en cinq questions.
Sur quoi se basent ces décisions ?
Pourtant jugé légal par le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel, pour certains juges, ce plafonnement est contraire à deux textes internationaux. Le premier, l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1982, ratifié par la France, qui stipule que si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié […], ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
Et le second, l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 selon lequel « tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement ». En s’appuyant sur ces deux textes, les juges prud’homaux de ces trois sections ont donc balayé les barèmes, avec pour première conséquence de créer une insécurité juridique, notamment pour les employeurs.
Qu’est ce que cela signifie pour les employeurs ?
« Ce n’est pas une nouvelle surprenante. Mais cette ordonnance devait leur donner de la prévisibilité et de la sécurisation lors de licenciements, or là on ne sait pas si la loi tient la route », relève Eric Rocheblave, avocat spécialisé en droit du travail. Depuis l’instauration des barèmes, le montant des dommages et intérêts versés au salarié n’est plus laissé à la libre appréciation des juges, mais doit désormais être plafonné entre un et vingt mois de salaire brut, en fonction de son ancienneté. Exceptés dans les cas de harcèlement moral, de discrimination ou dans le cas d’une violation de liberté fondamentale.
Et pour les salariés ?
Du côté des avocats de salariés, ce contournement du barème peut en revanche être vu comme une aubaine. « Oui c’est un élément lors d’une négociation. Tant qu’on sait qu’on ne peut pas être censuré, on encourage à évoquer cet argument », pour à terme réclamer plus d’argent, reconnaît Eric Rocheblave. « Il y aura de plus en plus d’avocats qui vont utiliser cet argument juridique », abonde un autre conseil.
Les décisions vont-elles toutes dans le même sens ?
Non. En septembre dernier, les conseillers prud’hommes du Mans ont considéré quant à eux que le barème est conforme à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT. Comme le rappellent plusieurs spécialistes du droit, d’autres décisions doivent tomber dans les prochains mois, et pourraient aller dans le sens inverse des récentes décisions.
Le plafonnement est-il réellement menacé ?
« Ces derniers jugements arrivent en plein mouvement de contestation des Gilets jaunes, selon Fabien Desmazure, avocat spécialiste du droit du travail au cabinet FD Avocats. On arrive aussi, sur le terrain judiciaire, à une division », explique-t-il. « Les récentes décisions concernent des cas très spécifiques, ce sont des contrats qui ont duré très peu de temps. Il s’agit souvent de salariés qui n’ont pas beaucoup d’ancienneté », relativise-t-il.
« On sait que les juges et les conseillers prud’homaux ont peu apprécié qu’une loi vienne leur retirer leur pouvoir d’appréciation », avance de son côté Marie-Hélène Bensadoun, associé du cabinet August Debouzy et vice-présidente d’Avosial, syndicat d’avocats d’entreprises en droit social. « Pour l’instant, il y a une loi qui est passée, on l’applique, même si un vrai débat juridique est lancé et ne sera tranché que par la Cour de cassation », constate Marie-Hélène Bensadoun. Mais il faudra être patient. « Seule la Cour de cassation peut donner le la en matière de jurisprudence. Mais il va y avoir des matchs à rejouer, note Fabien Desmazure. Les procédures en appel vont-elles déboucher sur les mêmes décisions ? », interroge le conseil. La question reste ouverte, et l’issue du débat encore lointaine.

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