LICENCIEMENT
L’indemnité compensatrice de
congés payés est due en cas de licenciement pour faute lourde
Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu
bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la
fraction de congé dont il n’a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de
congé, y compris en cas de licenciement pour faute lourde.
06/06/2018 Jurisprudence Sociale Lamy, n°
454
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Les faits
Le salarié, engagé en
avril 2009, a été licencié le 14 mai 2010 pour faute lourde. Il lui est
reproché d’avoir violemment agressé le gérant de la société en lui portant un
coup de tête entraînant un traumatisme crânien avec ITT de 15 jours et 7 points
de suture.
La matérialité des faits
n’est pas contestée par le salarié qui affirme néanmoins que son geste est
intervenu en réponse à l’agressivité du gérant qui tentait de lui reprendre son
chèque de salaire et aurait levé la main sur lui.
Les demandes et
argumentations
Le salarié fait grief à
l’arrêt de la Cour d’appel de Fort-de-France de le débouter de l’ensemble de
ses demandes visant à voir juger le licenciement dépourvu de cause réelle et
sérieuse et voir condamner en conséquence la société à lui payer diverses
sommes dont les indemnités de congés payés alors, selon le moyen du pourvoi,
que pour dire le licenciement fondé sur une faute lourde, il incombe au juge de
caractériser l’intention du salarié de nuire à l’employeur ou à l’entreprise :
en se fondant sur « le caractère particulièrement violent » de l’agression de
M. Z..., gérant de la société et sur l’affirmation selon laquelle ce dernier
serait revenu vers le gérant après avoir « fait semblant de quitter
l’entreprise » pour dire que le salarié avait agi dans le « but évident de
nuire à l’employeur », la cour d’appel, qui n’a ainsi pas caractérisé
l’intention de nuire qu’aurait eu le salarié à l’égard de l’employeur ou de
l’entreprise, aurait violé l’article L. 3141-26 du Code du travail.
La décision, son analyse
et sa portée
Le pourvoi de la
salariée est rejeté : « ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que le
salarié avait, au cours d’un entretien disciplinaire, volontairement et de
manière préméditée, agressé le gérant de la société lui occasionnant un
traumatisme crânien avec une incapacité totale temporaire de travail de quinze
jours, la cour d’appel a pu en déduire que les agissements du salarié
procédaient d’une intention de nuire caractérisant une faute lourde ».
• Sur la qualification
de faute lourde
Deux remarques peuvent
être formulées sur cette décision. La première concerne un rappel bien connu :
la faute lourde suppose la caractérisation d’une intention de nuire à
l’entreprise ou à l’employeur. Ce n’est donc pas la gravité de la faute qui
importe mais un élément subjectif tenant à l’intention de l’auteur. Il en
résulte que la qualification de faute lourde est rarement retenue. Tel était
pourtant le cas en l’espèce, ce qui s’expliquait par le fait que l’agression
avait été « volontaire » et « préméditée ».
La seconde remarque
concerne la nature du contrôle exercé par la Cour de cassation sur la faute
lourde. Par la formulation « la cour d’appel a pu en déduire », la Cour de
cassation signifie qu’elle exerce un contrôle léger. Pour ce qui est de la
faute lourde, elle vérifie que, à partir des faits, il pouvait être déduit
l’intention de nuire, sans que soit exercé un contrôle sur le choix des juges
du fond pour la qualification de faute lourde. Un pourvoi en cassation n’est
donc pas voué à l’échec puisque la question n’est pas abandonnée à
l’appréciation souveraine des juges du fond. Indirectement, l’arrêt conduit
aussi à rappeler que des violences physiques exercées par des salariés à
l’encontre de leur employeur ou sur d’autres salariés ne sont pas
nécessairement constitutives d’une faute lourde. En général d’ailleurs, à
défaut d’intention de nuire, elles seront qualifiées de faute grave. En tout
état de cause, l’enjeu de la qualification de faute lourde est devenu moindre ;
c’est principalement la porte d’entrée à une action en responsabilité civile
contre le salarié.
• Sur l’indemnité
compensatrice de congés payés en cas de faute lourde
L’article L. 3141-26 du
Code du travail, dans sa rédaction applicable au moment des faits, disposait en
substance que lorsque le contrat de travail était rompu avant que le salarié
ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit,
pour la fraction de congé dont il n’a pas bénéficié, une indemnité
compensatrice de congé. La loi ajoutait une réserve : « L’indemnité est due dès
lors que la rupture du contrat de travail n’a pas été provoquée par la faute
lourde du salarié ». En application de ce texte, pour débouter le salarié de sa
demande d’indemnité compensatrice de congés payés, la cour d’appel avait retenu
que le salarié avait commis une faute lourde fondant le licenciement.
L’intérêt principal de
l’arrêt, qui casse cette décision, est de faire application immédiate,
c’est-à-dire aux affaires en cours, de la levée de la restriction applicable en
cas de faute lourde.
La réserve de la faute
lourde a en effet été supprimée, la loi du 8 août 2016 s’écrivant désormais
ainsi : « l’indemnité est due que cette rupture résulte du fait du salarié ou
du fait de l’employeur » (C. trav., art. L. 3141-26). L’application rétroactive
d’un texte peut être considérée comme nuisant à la sécurité juridique. Il faut
ici une circonstance exceptionnelle pour l’expliquer : c’est à la suite d’une
QPC que le Conseil constitutionnel a décidé que « les salariés qui n’ont pas
encore bénéficié de l’ensemble des droits à congé qu’ils ont acquis lorsqu’ils
sont licenciés se trouvent placés, au regard du droit à congé, dans la même
situation ; que, par suite, en prévoyant qu’un salarié ayant travaillé pour un
employeur affilié à une caisse de congés conserve son droit à indemnité
compensatrice de congé payé en cas de licenciement pour faute lourde, alors que
tout autre salarié licencié pour faute lourde est privé de ce droit, le
législateur a traité différemment des personnes se trouvant dans la même
situation ».
Il en a tiré comme
conséquence, d’une part, que les mots « dès lors que la rupture du contrat de
travail n’a pas été provoquée par la faute lourde du salarié » figurant au
deuxième alinéa de l’article L. 3141-26 du Code du travail sont contraires à la
Constitution ; d’autre part, que la déclaration d’inconstitutionnalité prend
effet « à compter de la date de la publication de la présente décision ;
qu’elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date
et non jugées définitivement » (Cons. constit., 2 mars 2016, no 2015-523 QPC).
C’est ce qui explique que la Cour de cassation rend son arrêt au visa de «
l’article L. 3141-26 du Code du travail (alors applicable) dans sa rédaction
résultant de la décision no 2015-523 QPC du 2 mars 2016 du Conseil
constitutionnel » et estime, pour prononcer la cassation, que la décision de la
cour d’appel « non conforme aux dispositions susvisées, applicables aux
instances en cours, doit en conséquence être annulée ». L’arrêt n’a donc pas
pour fondement la loi 8 août 2016, mais la loi ancienne dans sa rédaction du 4
mars 2016 issue de la décision du Conseil constitutionnel.
La décision du Conseil
constitutionnel fait d’une certaine manière corps avec la loi qu’elle a
contrôlée (et en partie censurée). Notons cependant que les affaires
définitivement jugées, qui ont donné lieu à qualification de faute lourde sans
indemnité compensatrice de congés payés, ne peuvent pas donner à réparation au
profit du salarié ; la loi inconstitutionnelle s’est donc valablement appliquée
à ces affaires. L’effet rétroactif de la loi est en partie contenu.
L’arrêt appelle une ultime
remarque concernant le droit de l’Union européenne. On savait en effet que la
privation de l’indemnité de congé payé en cas de licenciement pour faute lourde
était incompatible avec la Directive no 2003/88 relative à l’aménagement du
temps de travail qui accorde une protection très forte au congé payé en tant
que « principe de droit social d’une importance particulière » (CJUE, 26 juin
2001, aff. C-173/99). Dans son rapport annuel 2013, la Cour de cassation avait
d’ailleurs fait la suggestion suivante : « une modification de l’article L.
3141-26 du Code du travail : soit la suppression de la perte de congés payés en
cas de licenciement pour faute lourde, soit la limitation de cette perte aux
jours de congés payés excédant les quatre semaines irréductibles issues du
droit communautaire ». Le droit de l’Union s’opposait à ce que le législateur,
après la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2016, profite de cette
décision pour, dans le respect du principe constitutionnel d’égalité, durcir
les conditions d’accès à l’indemnité compensatrice de congé payé. En ce sens,
le droit de l’Union a évité toute tentation régressive.Notre analyse:
n’empêche pas le paiement des congés payés
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