Par Tiphaine Thuillier, publié
le 25/06/2018 à 17:35 , mis à jour à 18:27
La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, assure qu'elle va mettre en place
un système de taxation des CDD de courte durée si les branches ne le font pas.
La mise en place d'un système pénalisant les entreprises qui abusent des
contrats courts fait débat. Et tarde à voir le jour.
- L'éternel sujet du bonus-malus a déboulé dans le débat au coeur d'un week-end estival. Dimanche 24 juin, Jean Tirole, prix Nobel d'Economie, a défendu dans une interview au Journal du Dimanche, l'instauration d'un mécanisme de bonus-malus sur les contrats courts. Un avis partagé quelques heures plus tard par Bruno le Maire, ministre de l'Economie, qui s'est dit "prêt à travailler à l'un de ses dispositifs".
Lundi 25 au matin, c'est Muriel Pénicaud elle-même qui
a assuré que la France avait "trop recours aux contrats précaires".
"Il n'y a pas de raison que ceux qui ont les politiques d'emploi les plus
vertueuses payent pour celles qui remettent indéfiniment les demandeurs
d'emploi au chômage", a menacé la ministre du Travail, qui renvoie toute décision
concrète à la fin 2018, date à laquelle les partenaires sociaux doivent s'être
accordés sur la question.
- L'idée de taxer les entreprises qui ne recrutent qu'en contrat de courte durée est sur la table depuis des années. Syndicats et politiques débattent régulièrement de la nécessité d'enrayer la croissance des emplois de courte de durée en frappant les entreprises au portefeuille. Il y a cinq ans, une tentative de malus avait été instaurée sur les CDD inférieurs à trois mois. Mais le dispositif a été rapidement vidé de sa substance.
Le projet de
loi avenir professionnel, examiné et adopté par les députés le 20
juin, s'est à nouveau attaqué à ce problème. Un amendement de la majorité,
adopté in extremis, contraint même le gouvernement à mettre en place un système
coercitif. Problème: Matignon y serait opposé...
Bref, rien n'est réglé et la question n'a pas fini
d'alimenter les débats. Voici quelques éléments d'explication.
- A quoi servirait un bonus-malus ?
Les chiffres le montrent: la France a un problème avec
les contrats courts. Les entreprises qui embauchent ne privilégient plus que
les CDD.
Une étude du
ministère du Travail publiée le 21 juin a confirmé le constat
partagé depuis de nombreuses années: l'entrée dans le monde du travail ne se
fait plus que par petites bribes. En 2017, sur 100 embauches, 86 l'ont été en
CDD. Et ces contrats sont de plus en plus courts. 83% des CDD signés sont
inférieurs à un mois. Il y a vingt ans, en 1998, ces micro contrats représentaient
57% des contrats. Pour enrayer cette mécanique qui coûte cher à l'assurance-chômage (entre
deux contrats, les salariés sont indemnisés par l'assurance-chômage), des
sanctions sont envisagées.
Les défenseurs d'une action coup de poing reprennent
souvent l'image du "pollueur-payeur". Ce principe adopté par l'OCDE
en 1972 concerne les entreprises dont les activités ont des effets négatifs sur
l'environnement. Mais il s'étend plus largement à l'idée de responsabilité afin
que chaque acteur assume les conséquences économiques de ses actes. Jean Tirole
ne dit pas autre chose dans le JDD.
"Dans le financement actuel de l'assurance chômage, les entreprises qui
gardent leurs salariés paient pour celles qui licencient, explique
l'économiste. N'en déplaise au Medef, qui s'oppose à l'idée d'un bonus-malus,
il faut appliquer ce principe du pollueur-payeur au marché du travail."
Certains secteurs comme l'hôtellerie-restauration, les
arts et spectacles, l'édition et l'audiovisuel, sont particulièrement dans le
viseur. Parce qu'ils changent régulièrement leur main d'oeuvre, ils génèrent
des coûts supplémentaires pour l'Unédic et devraient payer davantage de cotisations.
Le député LREM Aurélien Taché a déposé un amendement
le 20 juin dernier, adopté par ses camarades, pour contraindre le gouvernement
à mettre en place le bonus-malus. Sur son blog,
il explique: "Une modulation à la hausse des cotisations est très
rapidement dés-incitative, tandis qu'une modulation à la baisse permet
d'encourager les employeurs qui font le choix de l'emploi de qualité, celui qui
donne plus de stabilité aux salariés", détaille le député.
- Qu'est ce qui coince ?
Sur le papier, donc, la logique est assez simple. Mais
elle ne plait pas à tout le monde, notamment au patronat. Pour le Medef, les
entreprises gourmandes en CDD ne le font pas exprès. "Prenez un traiteur
dans l'événementiel, illustrait Alexandre Saubot, déjà négociateur Medef pour
la dernière convention d'assurance chômage. S'il a besoin de serveurs uniquement
pour des opérations le mardi, le vendredi et le dimanche, il va, en toute
logique, recourir à un contrat journalier à chaque fois", expliquait à
l'Express, Alexande Saubot négociateur patronal pour les questions d'assurance
chômage et en lice pour succéder à Pierre Gattaz.
D'autres voix, comme celle de Bruno Le Maire, pourtant
favorable au bonus malus, souhaitent néanmoins qu'il ne s'applique pas aux plus
petites entreprises.
Le gouvernement aurait pu inscrire clairement le
principe dans le projet de loi avenir professionnel, mais il ne l'a pas encore
fait. Pour le moment, il renvoie aux discussions au sein des branches et se
réserve le droit de tout changer en cas d'échec des discussions fin 2018. Il
souhaite surtout que de nouvelles contraintes pèsent sur les salariés qui
cumulent salaire et allocations chômage. Des règles déjà revues l'an dernier et
dont les montants versés n'évoluent pas.
- Sera-t-il vraiment mis en place ?
Pour l'instant, personne ne se précipite. "Si les
partenaires sociaux n'ont pas trouvé une solution d'ici la fin de l'année, à ce
moment-là, l'Etat pourra modifier par décret les règles pour les employeurs et
les salariés", a assuré Muriel Pénicaud lundi 25 juin. Rendez-vous fin
2018, donc, pour une éventuelle décision. Les chances que les discussions au
sein des branches capotent sont réelles.
"Il y a peut-être quelques doutes sur le fait de
savoir si toutes les branches professionnelles se sont emparées du sujet. Elles
ont intérêt à le faire", prévient le député Aurélien Taché. Son
amendement, qui a de bonnes chances de rester dans le texte même après son
passage au Sénat, a des allures de coup de pression.
Pour que la main de l'exécutif ne tremble pas, la
proposition lie clairement les deux volets (cotisation des employeurs et cumul
des salariés). Pour Aurélien Taché, interrogé dans les Echos, "les
entreprises ont aussi leur part de responsabilité quand on sait que les deux
tiers des CDD de moins d'un mois se font dans le cadre d'une relation durable
avec le salarié [qui fait des "va-et-vient" entre Pôle emploi et son
entreprise].
Le message politique de la majorité est clair pour qu'il n'y ait
pas d'hésitations du gouvernement sur cette question de bonus-malus".
Quitte à lui tordre le bras?
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