Challenges.fr
Par Marion Perroud
Challenges s'est procuré le jugement du conseil des prud'hommes qui sanctionne la Société générale à verser 450.000 euros sur le licenciement de Jérôme Kerviel. Morceaux choisis.
KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Le couperet est tombé ce mardi 7 juin. Le conseil des prud'hommes de Paris a condamné la Société générale à verser quelque 450.000 euros à son ancien trader Jérôme Kerviel pour l'avoir licencié sans "cause réelle ni sérieuse" et dans des conditions "vexatoires".
Une première victoire judiciaire inattendue pour l'ex-trader dans cette bataille acharnée qu'il mène contre la banque depuis maintenant plus de huit ans. Challenges s'est procuré le jugement. Extraits.
Rappel des faits
La Société générale impute à Jérôme Kerviel une perte de 4,9 milliards d'euros sur l'année 2007.
La banque accuse l'ex-trader d'avoir "utilisé des manœuvres frauduleuses pour dissimuler ses prises de position sur les marchés" dont elle affirme n'avoir eu connaissance que le 18 janvier 2008.
Date à laquelle, elle notifie son licenciement pour fautes lourdes à Jérôme Kerviel; confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception le 12 février.
Un licenciement que l'ancien salarié conteste, tant sur le plan de "la gravité des fautes reprochées que [de sa] cause réelle et sérieuse".
De multiples alertes
Les juges ont estimé que les faits reprochés à Jérôme Kerviel étaient prescrits. Pourquoi? Selon la loi, l'employeur ne peut engager ce type de procédures disciplinaires que dans la limite d'un délai de deux mois à compter du jour où il a pris connaissance des faits fautifs (soit le 18 janvier 2008 en l'espèce).
Or, le conseil des prud'hommes pointe les différentes alertes que la hiérarchie de la banque a reçues et émises, dont la première remonterait à mi-2005.
"La Société générale, alertée par l'Autorité des marchés financiers reconnaît avoir rappelé à l'ordre oralement Monsieur Kerviel mi-2005 sans le sanctionner, celui-ci ayant pris des engagement sur les marchés dépassant la limite de 125 millions d'euros" (plafond au-delà duquel les traders n'étaient pas habilités à s'engager sur les marchés).
Et de citer un mail d'avril 2007 d'une collaboratrice de la banque alertant cinq autres responsables de la Société générale des opérations fictives menées par Jérôme Kerviel. S'ajoutent à cela divers mails de notification de dépassements de limites envoyés à l'ex-trader entre août et septembre 2007, fournis au conseil des prud'hommes par la banque elle-même.
D'autant plus qu'il n'est pas contesté que la Société générale a payé mensuellement tout au long de l'année 2007, des frais de financements et des frais de commissions très volumineux, en rapport avec les volumes traités par Monsieur Kerviel", souligne le jugement.
Résultat: "l'employeur ne peut donc prétendre de n'avoir pas été au courant de longue date des dépassements d'autorisation pratiqués par Monsieur Kerviel [...] et en tout état de cause dans un délai de plus de deux mois par rapport à la date du 18 janvier 2008", tranchent les juges qui estiment que "l'employeur ne peut en aucun cas se prévaloir d'une faute dès lors qu'il a antérieurement toléré rigoureusement les mêmes faits [...] sans y puiser, à l'époque, un motif de sanction".
Des objectifs "hors normes"
Le conseil des prud'hommes de Paris épingle également sévèrement le flou et les incohérences encadrant l'activité et les objectifs de l'ancien trader (passés de 3 millions d'euros en 2005 à 12 millions d'euros en 2007).
Il note en particulier ses "résultats "hors normes" par rapport aux autres traders de la même table de marché".
Sans compter que "la Société générale ne rapporte aucun élément de nature à justifier que de tels objectifs pouvaient être atteints dans le strict cadre du respect des limites d'opérations" (soit 125 millions d'euros par jour pour l'ensemble des traders).
Et d'ajouter: "en sanctionnant en 2008 Monsieur Kerviel pour les pertes générées par ses prises de positions, la Société générale n'a pas sanctionné les agissements de Monsieur mais les conséquences de ceux-ci".
Verdict des juges: le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Conditions vexatoires du licenciement
Mais le conseil ne s'arrête pas là.
Non seulement Jérôme Kerviel est fondé à recevoir des dommages et intérêts "pour conditions vexatoires du licenciement" mais aussi à toucher le bonus de 300.000 euros qui lui est dû au titre de l'année 2007.
Les juges rappellent notamment que les prises de positions de Jérôme Kerviel ont permis à la banque de dégager le modique profit "de quelque 1,5 milliard d'euros" en 2007.
Ils s'appuient pour ce faire sur le témoignage d'un manager de l'ancien trader affirmant: "L'appréciation de la performance et du travail de M. Kerviel en 2007 lors de son entretien d'évaluation (novembre 2007) était très positive avec un bonus autour de 300.000 euros.
Monsieur Kerviel allait recevoir une rémunération élevée au regard de son expérience et de son historique de performance."Une décision jugée "scandaleuse" par l'avocat de la banque, Arnaud Chaulet, qui a interjeté appel.
Une chose est sûre, l'affaire Kerviel, dont la révision du procès en pénal est toujours en suspens, réserve encore bien des rebondissements.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire