Dans un rapport qui n'a pas encore été rendu public, le think tank prône un radical changement des règles du jeu, qui passe notamment par la priorité donnée aux accords d'entreprise. Un vrai big-bang.
code du travail afp
Une révolution de notre droit du travail. Voilà à quoi appellent les experts de l’Institut Montaigne. "La conception française du droit du travail s’avère très pyramidale, et l’entreprise, placée à la base, ne dispose que de peu de marge de manœuvre", écrivent Gérard Adam, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), et François Béharel, président du groupe Randstad France, auteurs du rapport "Sauver le dialogue social. Priorité à la négociation d’entreprise". Pour eux, le "dialogue social à la française", hérité des Trente Glorieuses, est à bout de souffle.
Et la méthode Hollande, qui a poussé les syndicats et le patronat à négocier de grandes réformes sociales, est un échec. L’accord national interprofessionnel, grand-messe syndicale nationale, qui a accouché d’un accord sur le marché du travail ou la formation professionnelle, relève d’un "modèle qui n’existe dans aucun autre pays" et qui apparaît comme un auxiliaire de la loi. "Beaucoup d’accords semblent peu ambitieux, traduisant principalement un consensus a minima entre intérêts catégoriels." Conclusion: "La modernisation par le haut ne fonctionne pas."
Pour remédier à ces maux, le groupe de réflexion propose de casser la "hiérarchie des normes" en replaçant l’entreprise et la branche au cœur de la négociation collective. Un big bang qui ravit le Medef, mais suscite l’ire des syndicats, CGT et Force ouvrière en tête, hostiles à toute déréglementation du Code du travail. "Je ne pense pas que la réforme du code du travail soit l’urgence", a réagi Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO. Et d'ajouter: "la France est le pays en Europe où le taux de couverture des salariés est l’un des plus importants. Vouloir détricoter cela serait une vraie régression".
Décryptage des trois propositions-chocs du rapport.
Un droit du travail négocié dans l’entreprise
C’est la proposition révolutionnaire : "Faire de l’accord d’entreprise la norme de droit commun de fixation des règles générales des relations de travail." Dès lors, "la loi, le décret et l’accord de branche deviendraient supplétifs". L’Institut Montaigne veut étendre considérablement les domaines où la négociation d’entreprise fixe les règles, par exemple, le travail le dimanche, le recours au temps partiel, et même le droit du licenciement, la négociation collective fixant "sa propre liste de motifs de rupture du contrat de travail". Dans cette nouvelle "hiérarchie des normes", la négociation de branche reste importante, en négociant le niveau de salaire minimum. Objectif: "adapter le niveau des salaires au plus près des besoins des différents secteurs d’activité". Les branches pourraient également jouer le rôle de "prestataires de services pour les TPE-PME, qui n’ont souvent pas la possibilité de négocier". Résultat: le volumineux Code du travail s’amincirait en devenant un "ordre public absolu", garant de grands principes fondamentaux. Ce modèle flexible et décentralisé existe chez nos voisins, en Autriche, en Allemagne ou au Danemark, où "la négociation collective représente plus des trois quarts du cadre normatif applicable en la matière, seuls quelques textes de loi déterminant un cadre minimal". A des années-lumière du système français.
Des délégués syndicaux mieux formés et élus
Pour donner beaucoup plus de souplesse aux entreprises, l’Institut Montaigne veut renforcer les syndicats. "S’assurer du développement des compétences des représentants syndicaux est un impératif trop souvent négligé par les entreprises." Surtout, pour "renforcer leur légitimité", Montaigne préconise que les délégués syndicaux soient élus, à l’instar des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise. Mais en supprimant un archaïsme français: le monopole syndical de présentation des candidats au premier tour des élections professionnelles. Dès lors, "il n’y aurait plus qu’un seul tour ouvert à tous les candidats", précise le rapport. Pour le syndicat CFE-CGC, pourtant considéré comme réformateur, c’est une ligne rouge. "Cela revient à vouloir recréer des syndicats maison, malléables à souhait", rétorque Carole Couvert, qui y voit une "provocation" et une volonté de tuer "les corps intermédiaires". Pour Bernard Vivier, le directeur de l’Institut supérieur du travail, c’est un non-sujet: "Depuis la loi Larcher de 2008, il faut qu’un syndicat puisse justifier de sa capacité à être représentatif dans une entreprise pour présenter un candidat aux élections professionnelles."
Mais, selon les auteurs, la représentativité des syndicats est souvent factice. Pour être considéré comme représentatif dans une entreprise, un syndicat doit obtenir 10 % des votants. Vu la faible participation dans certaines entreprises, cela les rend peu légitimes. Leur proposition : instaurer "un seuil de participation minimal au premier tour des élections professionnelles, en dessous duquel il n’est pas possible de mesurer la représentativité des organisations syndicales".
Une réduction drastique du nombre de branches
De son côté, le patronat doit aussi faire le ménage dans son organisation. "Là où l’Allemagne compte une cinquantaine de branches […], la France compte environ 700 branches professionnelles (hors secteur agricole), dont plus de 400 couvrant moins de 5 000 salariés et représentant des secteurs d’activité très spécialisés." Conséquence: beaucoup de branches ont une activité de négociation réduite, voire inexistante, et seules quelques dizaines jouent véritablement le jeu du dialogue social, et assurent une négociation fréquente et de qualité. Le gouvernement planche actuellement sur ce sujet. Il a confié un rapport à Patrick Quinqueton, haut fonctionnaire au Conseil d’Etat, qui doit être remis au Premier ministre à la mi-septembre.
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