Un ancien trader raconte dans un
livre comment une fraude comptable a permis à deux dirigeants de s’enrichir.
François Pérol, le président du groupe BPCE qui coiffe la Bred, lui doit
peut-être sa réélection.
Lancer l'alerte ne garantit pas d'échapper aux flammes. C'est
la triste histoire que narre l'ancien trader Jérôme Guiot-Dorel dans son récit
intitulé Le Vaillant Petit Trader et sous-titré Conte éthique d'un lanceur
d'alerte*. Il y retrace la folle expérience de Jean, un financier qui met au
jour une fraude comptable de 250 millions d'euros. De quoi gonfler les bonus des
deux dirigeants de sa banque. Pressions, menaces et guerre psychologique avec
ses patrons le broieront pendant deux ans. Difficile de croire à l'imagination
sans limite de l'auteur, ancien salarié de la Bred, même s'il prévient que
"Toute ressemblance avec des personnes ou situations existantes ne serait que
fortuite."
Car cette "fiction" est son histoire et celle de la Bred. En
2010, alors responsable de la salle de marché, il alerte sa direction sur des
opérations frauduleuses qui ont permis de gonfler artificiellement les bénéfices
d'environ 50 millions par an pendant cinq ans. Ses identifiants informatiques
lui ont alors été subtilisés pour brouiller les comptes. Un tour de passe-passe
comptable ne fait plus apparaître que les gains de certains placements
financiers. Une "tambouille comptable" qui profite au directeur général de
l'époque, Jean-Michel Laty, et à son directeur financier, Yves Jacquot, car
leurs bonus gonflent avec les profits. Depuis 2005, le premier touche 0,4% des
bénéfices, le second, 0,2%. La martingale démarre l'année suivante, en 2006, et
durera cinq ans, jusqu'en 2010. Pour un bénéfice annuel qui, en moyenne, atteint
230 millions d'euros, leurs primes annuelles montent respectivement à 900.000
euros et 450.000 euros.
Un rapport interne de 2012
"Une enquête interne et nos commissaires aux comptes ont
confirmé qu'il n'y avait rien d'illégal", objectent les directions du groupe
BPCE et de sa principale filiale, la Bred. Pourtant, un rapport de l'inspection
interne de 2012, dont le JDD s'est procuré une copie, accuse la banque.
"Certains montants enregistrés dans le résultat ne correspondaient pas à une
réelle création de valeur, peut-on y lire. L'inspection n'est pas en mesure de
se prononcer sur la conformité de ces normes comptables." En clair, les
enquêteurs de BPCE jugent les comptes de la Bred faux. Les commissaires aux
comptes, eux, les ont validés. Mais du bout des lèvres.
"Les normes auraient pu être interprétées différemment, la
comptabilité n'est pas une science exacte, bredouille un ancien auditeur de KPMG
– premier groupe français de services dans les domaines de l'audit, de
l'expertise comptable et du conseil – qui a planché sur le dossier chez BPCE. Il
y a eu beaucoup de débats sur ces opérations. Mais nous avons respecté le
jugement du client." Difficile de ne pas valider les comptes d'une grande banque
française pour quelques opérations litigieuses. KPMG est toujours leur
commissaire aux comptes. Les administrateurs de la Bred, eux, n'ont pas tiqué.
Ni le président Stève Gentili, toujours en poste et promu président de
l'ensemble du groupe BPCE l'an passé. Ni le vice-président François Martineau
qui, à la tête du comité des rémunérations, a validé les bonus des deux
dirigeants de la Bred.
Pérol marchande sa réélection
Pour le président de BPCE, François Pérol, le rapport qui
accable la Bred tombe à pic. À l'été 2012, il joue son renouvellement à la tête
du groupe. Ses relations avec Stève Gentili, le président de la Bred, sont
mauvaises. Pourtant, dans un échange de mails que le JDD s'est procuré, François
Pérol lui écrit : "Tiens bon, il ne faut pas s'en préoccuper. Cela passera et ne
restera pas. L'entreprise et ce que tu y as fait, cela restera."
Plusieurs sources proches de la banque estiment que François
Pérol aurait marchandé sa réélection auprès des Banques populaires dont le
leader n'est autre que le président de la Bred. L'affaire du trader passe à la
trappe. "Subitement, il y a eu un accord entre eux", explique un témoin de
l'époque. "Ces histoires n'ont aucun rapport, assure l'entourage de François
Pérol. C'est infondé et nous avons tourné la page." Pas la Bred. La banque verse
chaque année 300.000 euros de retraite-chapeau à son ancien patron, Jean-Michel
Laty. Et elle doit encore payer 1,1 million d'euros de bonus différés à ses deux
anciens patrons d'ici à 2016. Elle devra aussi se défendre face au trader devant
les prud'hommes en 2016 après avoir été condamnée, il y a un an, pour
licenciement abusif.
*Le Vaillant Petit Trader, Éditions Lignes de Repères,
206 p., 17 euros.
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