Limiter le temps partiel subi en instaurant une durée minimale… la belle idée. Mais ni les négociations de branche ni les pratiques des entreprises ne laissent augurer de grand changement.
Les 24 heures pour tous ou… les 24 heures pour qui ? Début 2013, à l’issue des négociations interprofessionnelles sur la sécurisation de l’emploi, la CFDT se targuait d’avoir obtenu une grande victoire dans la lutte contre la précarité. Grâce à l’instauration d’une durée légale minimale de travail et d’une majoration de toutes les heures complémentaires. Des mesures susceptibles de profiter à la moitié des 4,2 millions de salariés à temps partiel, notamment aux 22 % les moins bien lotis, qui travaillent, en moyenne, 12 heures par semaine. Sauf que le texte est, depuis l’origine, mité par les dérogations : il ne concerne ni les salariés des particuliers employeurs, ni les étudiants, ni ceux qui, pour des raisons personnelles ou professionnelles, ne peuvent travailler à une telle hauteur.
Seize mois plus tard, l’optimisme n’est pas de mise. Sous la pression du patronat, le gouvernement a repoussé de six mois, au 1er juillet, l’entrée en vigueur de la réforme. Histoire de laisser aux branches le temps de s’organiser. À quelques semaines de la date fatidique, seule une douzaine d’accords ont vu le jour. Et tous ne font pas dans le haut de gamme. À l’image de la propreté, qui fixe à 16 heures la durée minimale. Ou de la branche associative sanitaire et sociale, qui retient des seuils allant de 2 à 14 heures, avec des possibilités de dérogation quasi infinies ! « Il y a peu d’accords qui, comme le nôtre, non seulement ne dérogent pas à la durée plancher, mais majorent les compléments d’heures », observe Jean-Paul Charlez, DRH d’Etam et négociateur patronal des succursalistes de l’habillement. Dans la restauration rapide, les 24 heures s’appliquent bien. Mais au prix d’une concession lourde : les enseignes ont obtenu que l’interruption entre deux services, limitée à 2 heures par la loi, puisse en atteindre 5. « Avec les coupures, on arrive à 24 heures de travail pour 44 heures de disponibilité. On n’est pas près de cumuler plusieurs emplois », relève Gilles Bompard, délégué CGT chez McDonald’s.
En théorie, les employeurs ne pourront plus user et abuser des recrutements de courte durée d’ici à deux mois. Ce frein au développement des temps partiels rompt avec la logique à l’œuvre dans les années 1990, quand les pouvoirs publics encourageaient leur signature à coups de baisses de charges. Et il amène l’Hexagone à ramer à contre-courant de ses voisins. « La France adopte une position atypique en Europe », analyse Françoise Milewski, économiste à l’OFCE (voir page 27). Au grand dam du patronat, en particulier de la CGPME qui, craignant des effets très négatifs sur l’activité et l’emploi, réclame un « moratoire de trois ans ». Et la polémique ne risque pas de s’éteindre. Car, au 1er janvier 2016 au plus tard, c’est l’ensemble des troupes déjà en place qu’il faudra basculer aux 24 heures hebdomadaires.
Sur le terrain, tout laisse pourtant à penser que les employeurs sauront s’arranger de la loi. Comme ils ont déjà su se débrouiller des textes précédents. Plafonds d’heures complémentaires, répartition des heures de travail sur la semaine, majoration, délai de prévenance… Les contraintes qui pèsent sur les temps partiels sont déjà légion. Sur le papier. Car, dans les faits, les entreprises feignent bien souvent de les ignorer. Ou les contournent, en usant d’artifices juridiques plus ou moins solides.
autoRenoncement. Ces stratégies peuvent, certes, leur valoir des ardoises salées devant les tribunaux, en cas de requalification des contrats en temps plein, avec rappel de salaires sur trois ans. Mais le danger s’avère limité, de surcroît en pleine explosion du chômage : rares sont les salariés lésés qui, en plus de connaître leurs droits, osent saisir les tribunaux, au risque de perdre leur emploi. En plus de ne pas voir l’ombre des 24 heures, beaucoup devront même y renoncer de leur propre chef. La loi permet en effet aux employeurs de s’affranchir du minimum légal sur « demande écrite et motivée » de l’intéressé. « C’est une jolie façon de nous ramener au contrat de gré à gré du xixe siècle. Il s’agit d’une négation de l’ordre public social et de la négociation collective qui renvoie le salarié à sa faiblesse dans la relation de travail », commente le cégétiste Karl Ghazi, secrétaire de l’Union du commerce de Paris. Une brèche dans laquelle les patrons ne manqueront pas de s’engouffrer. Normal. N’en déplaise au législateur, aucun n’augmentera la durée du travail de ses collaborateurs sur simple injonction, sans tâche supplémentaire à effectuer. Encore moins en période de crise.
Auteur : Stéphane Béchaux
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire