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Par Vincent MIGNOT
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Publié
le mercredi 5 septembre 2018 à 08h41, mis
à jour à 08h44
cBanque
Dans une étude publiée
fin 2017, l’Union nationale des associations familiales (UNAF) a sonné
l’alarme, avec l’Institut national de la consommation (INC), sur les frais
d’incidents bancaires en cascade subis par les personnes en difficultés
financières. Que pense l’association des récents engagements pris par les
banques sur le sujet ? Les réponses de Fabien Tocqué, coordonnateur du
pôle économie de l’UNAF.
Fabien Tocqué, êtes-vous
satisfait des engagements pris par les banques, sous pression du gouvernement,
de plafonner les frais d'incidents bancaires ?
Fabien Tocqué :
« Clairement non. Chaque mois, ce sont entre 4 et 8 millions de
personnes qui sont touchées par les frais d’incidents bancaires. Le
plafonnement, lui, sera réservé aux bénéficiaires de l’offre spécifique
destinée aux clients fragiles, qui concernera au mieux 500 000 personnes
en 2019. C’est un objectif très peu ambitieux. »
Comment expliquer que
cette offre spécifique, lancée en 2014, rencontre aussi peu de succès ?
« L’offre
spécifique ne correspond pas aux besoins des publics qu’elle vise »
F.T. : « Les efforts des réseaux
bancaires pour la promouvoir sont sans doute insuffisants. Mais le problème est
plus profond : l’offre ne correspond tout simplement pas aux besoins des
publics qu’elle vise, notamment ceux dont les rentrées d’argent sont
irrégulières et qui ont besoin d’un découvert, d’un chéquier ou d’une carte à
débit différé pour gérer leurs sauts de trésorerie. Elle est également perçue
comme stigmatisante : personne n’a envie d’être considéré comme un client
fragile ou pauvre, c’est une question de dignité. Résultat : sur les
3,6 millions de personnes à qui l’offre a été proposée, moins de 10% l’ont
acceptée. »
Bruno Le Maire, le
ministre de l’Economie, a conseillé aux banques d’opter pour un double
plafond : 20 euros par mois, 200 euros par an. Ces montants
sont-ils pertinents ?
F.T. : « Il est
intéressant de proposer un plafond mensuel, car les frais d’incidents
fonctionnent souvent par pics. En ce qui concerne les montants conseillés, il
est difficile de savoir s’ils sont bien calibrés, en l’absence de statistiques
publiques sur la répartition des frais d’incidents. »
Le gouvernement a choisi
la voie de l’auto-régulation par le secteur bancaire, par le biais
d’engagements, plutôt que celle de la contrainte, par la loi. Qu’en
pensez-vous ?
F.T. : « Les
associations de consommateurs, qui se battent depuis plus de 15 ans sur le
sujet, sont bien placées pour savoir que les engagements de place sont en
général peu tenus. »
La question des frais
bancaires devait initialement figurer au sommaire de la future stratégie
pauvreté. A priori, ce ne sera pas le cas. Le regrettez-vous ?
F.T. : « Oui et
non. Intégrer la question à la stratégie pauvreté aurait certes permis
d’envoyer un signal supplémentaire aux banques. Pour autant, le problème des
frais d’incidents ne concerne pas seulement les populations pauvres, loin de
là. Un simple accident de la vie, qui entraîne un dépassement de découvert,
suffit pour déclencher une cascade de frais. Et une fois qu’on est pris dans la
spirale, c’est très compliqué d’en sortir. C’est cette mécanique qu’il aurait
fallu briser, mais les solutions proposées sont très insuffisantes. »
Qu’est-ce qui, selon
vous, a freiné le gouvernement ?
« Le modèle
économique des banques est injuste »
F.T. : « Le problème se situe au
niveau du modèle économique de la banque de détail en France. Il repose en
effet largement sur les frais d’incidents. Ces derniers pénalisent une partie
de la population au profit d’une autre, celles des emprunteurs immobiliers qui
accèdent au crédit à des taux extrêmement bas. C’est un modèle non seulement
injuste, mais aussi discutable du point de vue prudentiel. Le régulateur du
secteur, l’ACPR (2), en est d’ailleurs conscient et a conseillé aux
banques de relever les taux de leurs crédits immobiliers. Un plafonnement
global des frais d’incidents pour l’ensemble des clients, comme l’UNAF le
souhaite, permettrait de faire évoluer leur modèle économique dans le bon
sens. »
Parmi les autres
engagements pris par les banques, celui de généraliser les alertes SMS pour
prévenir d’un découvert. Est-ce une bonne nouvelle ?
F.T. : « La mesure
est encore assez floue. Combien coûteront ces alertes ? Remplaceront-elles
les lettres d’information pour compte débiteur, lourdement facturées (3) ?
Si ce n’est pas le cas, la mesure sera très anecdotique. Les banques auraient
plutôt intérêt à investir dans la prévention primaire des incidents, en mettant
en œuvre des systèmes d’accompagnement des clients dès le premier impayé, à
l’image de ce qui existe dans les points conseil budget. »
Bercy demande également
aux banques de discuter avec les grands créanciers (eau, électricité, gaz,
télécom…) pour éviter qu’un prélèvement infructueux soit présenté plusieurs
fois, entraînant à chaque fois de nouveaux frais, et pour que les clients
puissent choisir la date de paiement de leurs factures ? Qu’en
pensez-vous ?
F.T. : « C’est une
piste intéressante sur le papier, mais je reste dubitatif sur ces chances
d’aboutir. Apporter une telle souplesse serait effectivement bienvenu, mais
cela représente un enjeu économique considérable pour les grands
créanciers. »
Au final, vous semblez
peu convaincu par les leviers activés pour faire face aux problèmes des frais
d’incidents. Quelles seraient selon vous les mesures à prendre ?
« Publier le nom
des banques qui ne jouent pas le jeu »
F.T : « Comme je l’ai déjà dit, un
vrai plafonnement pour tous semble difficile à mettre en œuvre dans l’immédiat,
mais reste une cible pour l’avenir. Une autre piste, à court terme, pourrait
être de jouer sur la réputation des différentes enseignes, en publiant le nom
de celles qui ne jouent pas le jeu. Cela pourrait stimuler une concurrence par
l’image, notamment du côté des mutualistes. Plus généralement, il serait
souhaitable que les parlementaires se saisissent à leur tour de la question,
par exemple dans le cadre de la loi Pacte. »
(1) Lire sur le sujet : Les personnes en difficulté payent 10 fois plus de frais
bancaires. (2) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
(3) 13 euros en moyenne pour la première lettre, selon le relevé cBanque
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