16 octobre 2019

Bernard Coulaty, formateur, ex-DRH international : « Nous sommes aux balbutiements de l’engagement en France »



Alors que l’absentéisme progresse dans les entreprises, Bernard Coulaty, ex-DRH international (Danone, Pernod Ricard) et auteur de l’ouvrage Engagement 4.0 (Editions EMS), estime que les organisations hexagonales ne favorisent pas suffisamment l’engagement de leurs collaborateurs.
15/10/2019  Liaisons-sociales.fr


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Liaisons Sociales : Comment définiriez-vous l’engagement ?
Bernard Coulaty : Vous pouvez trouver moult définitions de l’engagement. Grâce à mon expérience de DRH, notamment dans des groupes internationaux, et à un travail de recherche fondé sur plusieurs disciplines, j’ai développé une approche holistique de la notion d’engagement. J’en suis arrivé à la conclusion que l’engagement ne pouvait être que le résultat d’une co-production entre le salarié et l’entreprise. En tant qu’employeur, qu’est-ce que je peux apporter à mon collaborateur ? En tant que salarié, que puis-je apporter à mon entreprise ? Voilà les deux questions fondamentales qui sous-tendent l’engagement. C’est une notion à double facette, si l’une vient à manquer, l’engagement est alors bancal.
LS : Vous fustigez la notion de bonheur au travail et les démarches de QVT. Pour quelles raisons ?
B. C. : La notion de bonheur au travail est une aberration, le bonheur relevant de l’intime et de la stricte sphère personnelle. Je valide en revanche la notion de qualité de vie au travail mais la QVT n’a rien de commun avec l’engagement. La QVT rassemble une somme de dispositions centrées uniquement sur l’individu. La QVT peut s’avérer très efficace pour faire de la rétention mais en aucun cas pour favoriser l’engagement des collaborateurs. Et je n’évoque même pas les mesures cosmétiques de la QVT telles que le baby-foot dans la salle de repos. C’est bien pour faire plaisir aux jeunes collaborateurs mais cela ne dure qu’un temps. En France, le sujet de l’engagement est apparu il y a environ trois ans concomitamment avec le concept d’entreprise libérée. Sauf que les entreprises hexagonales, croyant bien faire, se sont juste contentées d’administrer des enquêtes internes sur l’engagement de leurs collaborateurs, qui en réalité n’étaient que des enquêtes d’opinion, des outils de communication pour les analystes financiers. Nous sommes donc aux balbutiements de l’engagement en France.
LS : Le télétravail, qui est souvent intégré aux politiques de QVT, ne favorise-t-il pas l’engagement des salariés ?
B. C. : C’est une bonne approche qui va booster la motivation du salarié télétravailleur mais pas forcément son engagement. Le télétravail peut néanmoins être source d’engagement. A deux conditions : lorsque le salarié est en capacité d’assumer pleinement son autonomie et lorsque le manager favorise la dimension humaine dans ce mode de relation déshumanisée.
LS : Un salarié engagé est-il un salarié motivé ?
B. C. : L’engagement et la motivation sont des notions différentes qui doivent se rencontrer. Contrairement à l’engagement qui repose sur de l’adhésion et sur des connexions émotionnelles, la motivation se fonde sur un processus transactionnel. Je suis motivé car mon patron m’a promis une augmentation ou une promotion. La motivation est le fruit d’un contrat clair défini à l’avance.
LS : Existe-t-il des profils de salariés engagés ?
B. C. : L’un des objectifs de mon livre était justement de parvenir à faire émerger des profils types. J’en ai identifiés huit. A commencer par deux profils de collaborateurs désengagés : le « pyromane », qui est une personne toxique pour l’organisation, et le « touriste », qui est présent physiquement dans l’entreprise mais dont l’esprit est ailleurs. Cette personne n’a aucun engagement émotionnel. Elle est souvent victime de « bore out ».
J’ai dégagé deux autres profils de personnes susceptibles de rencontrer la voie de l’engagement : le « 35 heures » est un salarié qui accomplit son travail consciencieusement avec un esprit positif mais qui n’ira pas au-delà de sa mission. Ce n’est pas le genre de personne à faire plus que ses heures. Il préférera se faire porter pâle plutôt que de se rendre aux événements internes organisés par la direction de son entreprise. Autre profil repéré dans cette catégorie : le « dilemme ». C’est bien souvent un ancien salarié engagé mais qui pour des raisons diverses, professionnelles ou personnelles, subit une frustration passagère.
Les deux profils de salariés engagés rassemblent le « bâtisseur », qui est l’archétype du bon collègue, toujours positif, qui rend service, et « l’alchimiste », le salarié modèle que l’entreprise aime « montrer ». On le retrouve souvent dans des groupes de travail, des task force. Il est au top de l’engagement et sait être altruiste.
Enfin, j’ai défini deux profils de personnes sur-engagées : le « burn out », qui est une personne tellement engagée qu’elle s’épuise mentalement et physiquement. Elle a perdu le sens de son travail. Enfin, le « fanatique », un salarié tellement engagé qu’il ne supporte pas que les autres le soient moins que lui. C’est un harceleur en puissance. A l’exception du « pyromane » et du « fanatique », les RH et le management peuvent, pour chacun de ces profils, décliner un certain nombre d’actions pour développer ou maintenir l’engagement.
LS : La notion d’engagement est-elle différente à l’étranger ?
B. C. : Les profils que je viens de décrire ne sont guère différents mais les comportements ne sont pas les mêmes selon les cultures. Par exemple, en Asie, l’engagement des salariés est très fort mais il ne dure pas longtemps. La loyauté a ses limites. Cela s’explique par un marché de l’emploi très florissant. J’ai connu des entreprises en Asie qui affichaient des taux de turn over de 30 % ! Au contraire, en Europe, et plus particulièrement en France, les salariés sont davantage en recherche de sécurité et de protection mais ils sont beaucoup moins engagés.
LS : Comment susciter l’engagement ?
B. C. : Il y a plusieurs leviers. En premier lieu celui de la marque employeur avec cet impératif qui consiste à réduire l’écart entre la promesse affichée et la réalité. La qualité du management est un autre facteur de succès. Le manager doit apprendre à tisser des relations de proximité, à reconnaitre l’effort et le mérite. Attention, on ne récompense pas l’engagement qui reste un moyen et non un but. Autre levier : le travail sur les individus eux-mêmes que l’entreprise doit former. Les collaborateurs doivent apprendre à auto-évaluer leur niveau d’engagement. Enfin, un travail sur les équipes reste essentiel. Que se passe-t-il lorsque le manager est absent ? Comment les problèmes sont-ils résolus ? La notion d’équipe est fondamentale car c’est sur ce périmètre que se jouent nombre de politiques RH, comme l’inclusion par exemple.
LS : Comment la transformation digitale impacte-t-elle l’engagement ?
B. C. : En nommant mon livre « Engagement 4.0 », j’ai voulu justement attirer l’attention sur l’impact du digital qui est colossal. Le bouleversement numérique rend le challenge de l’engagement encore plus difficile à relever car les frontières entre vie professionnelle et vie privée sont de plus en plus poreuses. L’intelligence artificielle commence en outre à pénétrer les process des entreprises, à commencer par les RH avec la fonction recrutement. Quant à la génération Z, celle qui est née avec Internet, elle ne conçoit le travail qu’à distance. C’est entre autres pour ces raisons que je milite pour un « New Deal » de l’engagement des salariés.

Notre avis:
  • Très intéressant article, où l'on voit que BPCE Sa est encore à mille années lumière de cette réflexion.
  • "Pour les autres entreprises de nos lecteurs on vous laisse voir"
    • Quelles promotion de l'engagement dans l'entreprise ?
      • Pour le reste, sur les profils types, on vous laisse mettre des noms.  


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