Alors que l’absentéisme progresse dans les entreprises, Bernard Coulaty,
ex-DRH international (Danone, Pernod Ricard) et auteur de l’ouvrage Engagement
4.0 (Editions EMS), estime que les organisations hexagonales ne favorisent pas
suffisamment l’engagement de leurs collaborateurs.
15/10/2019 Liaisons-sociales.fr
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Liaisons Sociales : Comment définiriez-vous l’engagement ?
Bernard Coulaty :
Vous pouvez trouver moult définitions de l’engagement. Grâce à mon expérience
de DRH, notamment dans des groupes internationaux, et à un travail de recherche
fondé sur plusieurs disciplines, j’ai développé une approche holistique de la
notion d’engagement. J’en suis arrivé à la conclusion que l’engagement ne
pouvait être que le résultat d’une co-production entre le salarié et
l’entreprise. En tant qu’employeur, qu’est-ce que je peux apporter à mon
collaborateur ? En tant que salarié, que puis-je apporter à mon entreprise ?
Voilà les deux questions fondamentales qui sous-tendent l’engagement. C’est une
notion à double facette, si l’une vient à manquer, l’engagement est alors
bancal.
LS : Vous fustigez la notion de bonheur au travail et les démarches de QVT.
Pour quelles raisons ?
B. C. : La notion de
bonheur au travail est une aberration, le bonheur relevant de l’intime et de la
stricte sphère personnelle. Je valide en revanche la notion de qualité de vie
au travail mais la QVT n’a rien de commun avec l’engagement. La QVT rassemble
une somme de dispositions centrées uniquement sur l’individu. La QVT peut
s’avérer très efficace pour faire de la rétention mais en aucun cas pour
favoriser l’engagement des collaborateurs. Et je n’évoque même pas les mesures
cosmétiques de la QVT telles que le baby-foot dans la salle de repos. C’est
bien pour faire plaisir aux jeunes collaborateurs mais cela ne dure qu’un
temps. En France, le sujet de l’engagement est apparu il y a environ trois ans
concomitamment avec le concept d’entreprise libérée. Sauf que les entreprises
hexagonales, croyant bien faire, se sont juste contentées d’administrer des
enquêtes internes sur l’engagement de leurs collaborateurs, qui en réalité
n’étaient que des enquêtes d’opinion, des outils de communication pour les
analystes financiers. Nous sommes donc aux balbutiements de l’engagement en France.
LS : Le télétravail, qui est souvent intégré aux politiques de QVT, ne
favorise-t-il pas l’engagement des salariés ?
B. C. : C’est une bonne
approche qui va booster la motivation du salarié télétravailleur mais pas
forcément son engagement. Le télétravail peut néanmoins être source
d’engagement. A deux conditions : lorsque le salarié est en capacité d’assumer
pleinement son autonomie et lorsque le manager favorise la dimension humaine
dans ce mode de relation déshumanisée.
LS : Un salarié engagé est-il un salarié motivé ?
B. C. : L’engagement et
la motivation sont des notions différentes qui doivent se rencontrer.
Contrairement à l’engagement qui repose sur de l’adhésion et sur des connexions
émotionnelles, la motivation se fonde sur un processus transactionnel. Je suis
motivé car mon patron m’a promis une augmentation ou une promotion. La
motivation est le fruit d’un contrat clair défini à l’avance.
LS : Existe-t-il des profils de salariés engagés ?
B. C. : L’un des
objectifs de mon livre était justement de parvenir à faire émerger des profils
types. J’en ai identifiés huit. A commencer par deux profils de collaborateurs
désengagés : le « pyromane », qui est une personne toxique pour l’organisation,
et le « touriste », qui est présent physiquement dans l’entreprise mais dont
l’esprit est ailleurs. Cette personne n’a aucun engagement émotionnel. Elle est
souvent victime de « bore out ».
J’ai dégagé deux autres
profils de personnes susceptibles de rencontrer la voie de l’engagement : le «
35 heures » est un salarié qui accomplit son travail consciencieusement avec un
esprit positif mais qui n’ira pas au-delà de sa mission. Ce n’est pas le genre
de personne à faire plus que ses heures. Il préférera se faire porter pâle
plutôt que de se rendre aux événements internes organisés par la direction de
son entreprise. Autre profil repéré dans cette catégorie : le « dilemme ».
C’est bien souvent un ancien salarié engagé mais qui pour des raisons diverses,
professionnelles ou personnelles, subit une frustration passagère.
Les deux profils de
salariés engagés rassemblent le « bâtisseur », qui est l’archétype du bon
collègue, toujours positif, qui rend service, et « l’alchimiste », le salarié
modèle que l’entreprise aime « montrer ». On le retrouve souvent dans des
groupes de travail, des task force. Il est au top de l’engagement et sait être
altruiste.
Enfin, j’ai défini deux
profils de personnes sur-engagées : le « burn out », qui est une personne
tellement engagée qu’elle s’épuise mentalement et physiquement. Elle a perdu le
sens de son travail. Enfin, le « fanatique », un salarié tellement engagé qu’il
ne supporte pas que les autres le soient moins que lui. C’est un harceleur en
puissance. A l’exception du « pyromane » et du « fanatique », les RH et le
management peuvent, pour chacun de ces profils, décliner un certain nombre
d’actions pour développer ou maintenir l’engagement.
LS : La notion d’engagement est-elle différente à l’étranger ?
B. C. : Les profils que
je viens de décrire ne sont guère différents mais les comportements ne sont pas
les mêmes selon les cultures. Par exemple, en Asie, l’engagement des salariés
est très fort mais il ne dure pas longtemps. La loyauté a ses limites. Cela
s’explique par un marché de l’emploi très florissant. J’ai connu des
entreprises en Asie qui affichaient des taux de turn over de 30 % ! Au
contraire, en Europe, et plus particulièrement en France, les salariés sont
davantage en recherche de sécurité et de protection mais ils sont beaucoup
moins engagés.
LS : Comment susciter l’engagement ?
B. C. : Il y a plusieurs
leviers. En premier lieu celui de la marque employeur avec cet impératif qui
consiste à réduire l’écart entre la promesse affichée et la réalité. La qualité
du management est un autre facteur de succès. Le manager doit apprendre à
tisser des relations de proximité, à reconnaitre l’effort et le mérite.
Attention, on ne récompense pas l’engagement qui reste un moyen et non un but.
Autre levier : le travail sur les individus eux-mêmes que l’entreprise doit
former. Les collaborateurs doivent apprendre à auto-évaluer leur niveau
d’engagement. Enfin, un travail sur les équipes reste essentiel. Que se
passe-t-il lorsque le manager est absent ? Comment les problèmes sont-ils
résolus ? La notion d’équipe est fondamentale car c’est sur ce périmètre que se
jouent nombre de politiques RH, comme l’inclusion par exemple.
LS : Comment la transformation digitale impacte-t-elle l’engagement ?
B. C. : En nommant mon
livre « Engagement 4.0 », j’ai voulu justement attirer l’attention sur l’impact
du digital qui est colossal. Le bouleversement numérique rend le challenge de
l’engagement encore plus difficile à relever car les frontières entre vie
professionnelle et vie privée sont de plus en plus poreuses. L’intelligence
artificielle commence en outre à pénétrer les process des entreprises, à
commencer par les RH avec la fonction recrutement. Quant à la génération Z,
celle qui est née avec Internet, elle ne conçoit le travail qu’à distance.
C’est entre autres pour ces raisons que je milite pour un « New Deal » de
l’engagement des salariés.
Notre avis:
- Très intéressant article, où l'on voit que BPCE Sa est encore à mille années lumière de cette réflexion.
- "Pour les autres entreprises de nos lecteurs on vous laisse voir"
- Quelles promotion de l'engagement dans l'entreprise ?
- Pour le reste, sur les profils types, on vous laisse mettre des noms.
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