LICENCIEMENT POUR MOTIF
PERSONNEL
Le fait pour un responsable d’agence de pratiquer le co-voiturage avec un
véhicule de fonction à l’insu de son employeur, en l’exposant à un risque
compte tenu de l’absence de couverture de cette activité par l’assureur,
constitue une faute justifiant le licenciement.
15/01/2019 Jurisprudence
Sociale Lamy, Nº 467
Les faits
Le salarié avait été licencié pour avoir effectué sans autorisation des
prestations de covoiturage sur le site Blablacar avec son véhicule de fonction.
Les demandes et argumentations
Le salarié considère la sanction disproportionnée et son licenciement sans
cause réelle et sérieuse. La société demande de confirmer que le licenciement
repose sur une cause réelle et sérieuse.
La décision, son analyse et sa portée
On sait que l’utilisation indue d’un véhicule de fonction est fautive et
justifie un licenciement, éventuellement pour faute grave. Un tel manquement a
été caractérisé par exemple en cas d’utilisation du véhicule pour réaliser des
travaux rémunérés (Cass. soc., 12 déc. 1983, no 81-42.100), se rendre en boîte
de nuit (Cass. soc., 21 mars 2001, no 98-46.210), en cas de prêt du véhicule à
un tiers (Cass. soc., 18 juin 2003, no 00-46.253) ou à un membre de sa famille
(Cass. soc., 30 nov. 2010, no 09-40.695 ; Cass. soc., 3 avr. 2013, no
11-27.530) ou encore s’agissant de l’utilisation régulière par le chauffeur du
PDG du véhicule de celui-ci en son absence (Cass. soc., 26 mai 2010, no
09-40.374).
En l’espèce, un salarié pratiquait le covoiturage avec son véhicule
professionnel sans autorisation de son employeur. Le règlement intérieur de la
société contenait semble-t-il une page de règles d’utilisation d’un véhicule de
fonction et de rappel des règles de bonne conduite, sans que le rappel des
faits de l’arrêt ne permette d’apprécier dans quelle mesure l’utilisation
personnelle du véhicule était autorisée. La Cour d’appel de rennes déduit
cependant du silence du règlement intérieur sur la pratique du voiturage qu’il
appartenait au salarié d’en tirer les conséquences en sollicitant
l’autorisation de son employeur. Cela relève du bon sens. D’ailleurs, les
conditions générales actuelles du site Blablacar - plateforme de covoiturage
dont il était question dans cette affaire - stipulent l’engagement du
conducteur à « ne pas publier d’Annonce de Covoiturage relative à un véhicule
dont [il n’est pas] le propriétaire ou [qu’il n’est] pas habilité à utiliser à
des fins de covoiturage ».
“On sait que l’utilisation indue d’un véhicule de fonction est fautive et
justifie un licenciement, éventuellement pour faute grave”.
Surtout, le salarié pratiquait cette activité à titre lucratif, ce qui
semble avoir été déterminant dans la qualification de la faute justifiant son
licenciement. Certes, le salarié contestait cette qualification en produisant
des reçus attestant de reversements à des associations pour des montants de 120
€ en 2012, 170 € en 2013, 120 € en 2014 et 200 € en 2015. La cour d’appel
écarte cependant l’argument dès lors que l’estimation des gains telle qu’elle
résultait des annonces passées sur le site de covoiturage s’élevait à plusieurs
milliers d’euros, preuve selon elle que le salarié avait nécessairement réalisé
des bénéfices. Or, le covoiturage à titre lucratif est prohibé - depuis la loi
no 2015-992 du 17 août 2015 - par le Code des transports (C. transp., art. L.
3132-1 : « Le covoiturage se définit comme l’utilisation en commun d’un
véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers,
effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d’un
déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte. Leur mise en
relation, à cette fin, peut être effectuée à titre onéreux ») et donc également
par les conditions générales du site en cause (« en utilisant la Plateforme et
lors des Trajets, vous vous engagez à (...) ne pas utiliser la Plateforme à des
fins professionnelles, commerciales ou lucratives si vous n’êtes pas un
Autocariste »). Pour lutter contre l’utilisation dans un but lucratif de sa
plateforme, le site en cause précise qu’il conseille aux conducteurs un prix
pour le trajet, basé sur un partage des frais de route et le plafonnement
strict des prix. Il n’est pas précisé dans l’arrêt si le conducteur contournait
le prix conseillé pour dégager un profit ou si le caractère onéreux était
retenu en l’espèce malgré le respect de ce prix conseillé.
Cette pratique illégale du covoiturage à titre lucratif excluait la
couverture des passagers - pourtant exigée elle aussi par les conditions
générales du site - puisque l’assurance des véhicules de l’entreprise ne
couvrait pas le transport onéreux de personnes, situation évidemment de nature
à exposer l’employeur à un risque.
La cour d’appel en conclut que, si le salarié avait été diligent et
sollicité l’autorisation préalable de son employeur, celui-ci l’aurait informé
que l’assurance ne couvrait pas les personnes transportées dans un tel cadre
et, par conséquent, n’aurait pas accédé à sa demande. En conséquence, «
pratiquer le co-voiturage avec un véhicule de fonction à l’insu de son
employeur, en l’exposant à un risque compte tenu de l’absence de couverture de
cette activité par l’assureur, constitue une faute justifiant le licenciement
».
TEXTE DE L’ARRÊT (EXTRAITS)
X... a été embauché le 5 février 1999 par la société Servomap en qualité de
documentaliste. Il a été promu responsable de production, statut cadre, en mars
2000. Il était responsable de l’agence de Bordeaux. Son contrat de travail a
été transféré à la société vecteur plus le 1er avril 2012. Par lettre
recommandée avec accusé de réception du 23 février 2015, l’employeur a convoqué
X... à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 mars. Le 2
mars, X... s’est porté candidat aux élections du comité d’entreprise. Il a été
élu le 12 mars.
Auparavant, par un courrier du 11 mars, il a été licencié pour avoir
effectué des prestations de covoiturage sur le site blablacar avec son véhicule
de fonction.
X... a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes le 30 mars pour voir
déclarer nul son licenciement, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse.
Le 18 septembre 2015, le bureau de conciliation a ordonné à l’employeur de
remettre au salarié les actes du dépôt du règlement intérieur auprès de la
DIRECCTE et du conseil des prud’hommes sous peine d’une astreinte de 50 € par
jour à compter du 30 septembre.
Par un jugement en date du 4 juillet 2016, le conseil a :
dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
condamné la société vecteur plus à payer à X... les sommes de 29 000 € de
dommages-intérêts et de 1 650 € au titre de la liquidation de l’astreinte avec
intérêts au taux légal à compter du de la notification du jugement, les
intérêts étant capitalisés dans les conditions prévues à l’article 1154 du code
civil,
débouté X... du surplus de ses demandes,
dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire,
condamné la société vecteur plus à rembourser aux organismes intéressés les
indemnités de chômage versées à X...,
condamné la société vecteur plus à payer à X... la somme de 1 000 € en
application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
X... a interjeté appel de cette décision le 18 juillet 2016, la société vecteur
plus, le 26 juillet suivant. Les deux affaires ont été jointes à l’audience.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions communiquées, déposées et soutenues oralement à l’audience,
X... demande à la cour de réformer le jugement et de :
à titre principal, constater son statut de salarié protégé au jour du
licenciement et l’absence d’autorisation de l’inspecteur du travail pour
procéder au licenciement, en conséquence, dire nul et de nul effet le
licenciement, condamner la société vecteur plus à lui payer les sommes
suivantes à titre de dommages-intérêts : 251 100 € pour violation du statut
protecteur, 83 700 € pour rupture vexatoire du contrat de travail,
à titre subsidiaire, dire que le licenciement est sans cause réelle et
sérieuse, condamner la société vecteur plus à lui payer la somme de 83 700 € à
titre de dommages-intérêts,
en toute hypothèse, condamner la société vecteur plus à lui payer la somme de 1
650 € au titre de la liquidation de l’astreinte, celle de 3 000 € en
application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la saisine du conseil des
prud’hommes.
Par conclusions communiquées, déposées et soutenues oralement à l’audience, la
société vecteur plus demande à la cour de :
confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement n’est pas nul,
l’infirmer pour le surplus, dire que le licenciement repose sur une cause
réelle et sérieuse et qu’il n’y avait pas lieu de liquider l’astreinte,
débouter X... de l’intégralité de ses demandes,
condamner X... à lui payer la somme de 2 500 € en application de l’article 700
du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le statut de salarié protégé
X... soutient que son employeur savait, au jour de l’entretien préalable,
qu’il était candidat aux élections du comité d’entreprise, que ce dernier a
trouvé cette histoire de co-voiturage pour le licencier avant les élections
afin qu’il ne bénéficie pas du statut protecteur et qu’il avait eu cette information
dès le 16 février 2015, date à laquelle il avait annoncé à Mme Lé qu’il
acceptait de se porter candidat.
L’existence de la protection s’apprécie en fonction de la date à laquelle
l’employeur a manifesté sa volonté de rompre le contrat de travail, c’est à
dire à la date d’envoi de la convocation à l’entretien préalable (cassation
sociale 26 mars 2013 no 11-27964).
Dans le cas d’espèce, la société vecteur plus n’avait pas encore été
destinataire de la candidature de X..., dont elle justifie qu’elle l’a reçue le
2 mars 2015, lorsqu’elle lui a notifié la convocation à l’entretien préalable
le 23 février précédent. L’appelant ne rapporte pas la preuve que Mme Lé en
aurait informé l’assistant des ressources humaines chargé de centraliser les
candidatures à réception de son courriel du 16 février.
En l’absence de preuve de la connaissance par l’employeur de l’imminence de
sa candidature, X... sera débouté de sa demande de nullité du licenciement pour
violation du statut protecteur, le jugement étant confirmé.
Sur le bien fondé du licenciement
La lettre de licenciement est rédigée ainsi :
‘Nous avons le regret de constater que, depuis quelques temps, vous
utilisez votre véhicule de fonction, sans aucune autorisation, à des fins
lucratives. Vous proposez ainsi des trajets payants, à des personnes étrangères
à la société, sur le site de covoiturage Blablacar. A cette fin, vous êtes
inscrit sur ce site depuis le 9 mai 2011 et avez publié au total 112 annonces.
Vous avez par exemple profité de réunions de travail organisées par votre
manager les 16 et 17 février 2015 au sein de l’établissement de Bouguenais,
situé en Loire atlantique, pour proposer des trajets payants, à des personnes
extérieures à la société, sur le site Blablacar. Vous avez ainsi proposé de prendre
le lundi 16 février 2015 en début de matinée, 3 passagers, de la gare de
Bordeaux jusqu’à un arrêt du réseau des transports en commun nantais situé dans
l’agglomération de Nantes. Le lendemain, vous avez proposé sur le même site le
trajet inverse dans l’après-midi. L’annonce qui avait été rédigée proposait ce
trajet à 3 passagers payants. Interloquée par votre comportement lorsqu’elle en
a eu connaissance, la société a décidé de faire constater votre offre de
transaction sur le site Blabacar par un huissier dûment assermenté.’
L’employeur verse aux débats les pièces suivantes :
un procès-verbal de maître Blin, huissier de justice à Rezé, qui a
constaté, après avoir tapé sur internet ‘co-voiturage’ et ‘départ Nantes
arrivée Bordeaux 17 février 2015’, 69 offres dont celle de ‘José’ affichant 3
places au prix de 20 € chacune et, en cliquant sur ce prénom, 112 annonces
publiées depuis le 9 mai 2011 avec un véhicule VW de couleur noire ainsi que la
mention que les sommes seraient reversées à deux associations ;
le règlement intérieur de la société daté du 29 juin 2012 contenant une page de
règles d’utilisation d’un véhicule de fonction et de rappel des règles de bonne
conduite ;
les conditions particulières du contrat d’assurance MarSH ‘flotte automobile’
qui spécifie que les véhicules assurés sont utilisés pour des déplacements
privés ou professionnels mais ne servent en aucun cas à des transports onéreux
de marchandises ou de voyageurs, même à titre occasionnel ;
les conditions générales du site Blabacar qui stipulent que les membres
s’engagent à n’utiliser le service que pour la mise en relation à titre non
professionnel et non commercial de personnes souhaitant effectuer un trajet en
commun, que le conducteur ne doit en aucun cas réaliser des bénéfices et qu’il
doit vérifier que son assurance couvre toutes les personnes transportées ainsi
que les éventuelles conséquences des incidents pouvant survenir pendant le
trajet.
Le grief est établi et il n’est d’ailleurs pas contesté, X... considérant la
sanction disproportionnée.
X... ne démontre pas que l’employeur aurait eu connaissance depuis
longtemps qu’il était inscrit sur le site de co-voiturage avec son véhicule de
fonction.
Il verse aux débats des reçus attestant de reversements à des associations
pour des montants de 120 € en 2012, 170 € en 2013, 120 € en 2014 et 200 € en
2015 alors que l’estimation des gains telle qu’elle résulte des annonces
s’élève à plusieurs milliers d’euros de sorte qu’il a nécessairement réalisé
des bénéfices.
Ayant utilisé un véhicule professionnel, il ne peut se retrancher derrière
le caractère privé de cette activité.
Il lui appartenait de tirer les conséquences du silence du règlement
intérieur en sollicitant l’autorisation de son employeur lequel, à cette
occasion, l’aurait informé que l’assurance ne couvrait pas les personnes
transportées dans un tel cadre et, par conséquent, n’aurait pas accédé à sa
demande, activité qui était de toute façon interdite par le site sur lequel il
était inscrit en raison de son caractère lucratif.
Le fait pour un responsable d’agence de pratiquer le co-voiturage avec un
véhicule de fonction à l’insu de son employeur, en l’exposant à un risque
compte tenu de l’absence de couverture de cette activité par l’assureur,
constitue une faute justifiant le licenciement.
Le jugement est infirmé et X... débouté de son appel.
Sur la liquidation de l’astreinte
La société vecteur plus sollicite l’infirmation de la disposition du
jugement qui l’a condamnée à payer à l’appelant la somme de 1 650 € au titre de
la liquidation de l’astreinte ordonnée le 18 septembre 2015.
Il ressort du dossier qu’elle a transmis à X... le 10 novembre 2015 le
courriel de l’inspection du travail du 9 novembre lui répondant que le dépôt du
règlement intérieur avait bien été effectué le 8 décembre 2011. Le salarié
ayant obtenu satisfaction, il n’y avait pas lieu à liquidation de l’astreinte.
En outre, il résulte de la pièce 20 de l’intimée qu’elle lui avait transmis la
copie du règlement intérieur le 12 mai précédent. Celui-ci ne contenant aucune
disposition en matière de co-voiturage et la lettre de
licenciement ne le visant pas, la vérification de la régularité du dépôt
était sans intérêt pour le litige.
Le jugement sera également infirmé sur ce point.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de ce qui précède, le jugement sera infirmé en toutes ses
dispositions.
Succombant en ses prétentions, X... sera condamné aux entiers dépens et à
payer la somme de 500 € à la société au titre de l’article700 du code de procédure
civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement :
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau,
DIT que le licenciement de X... est fondé,
DEBOUTE X... de toutes ses demandes, CONDAMNE X... à payer à la société
vecteur
Plus la somme de 500 € en application de l’article 700 du code de procédure
civile,
CONDAMNE X... aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Jean-Benoit Cottin, Avocat, Docteur en droit, Capstan Avocats
[CA Rennes, 31 août 2018, no 16/6462]