Difficile de trouver des chiffres précis, mais il semblerait que les cas
d’inaptitude soient en augmentation. Certains font état de
plusieurs
centaines de milliers de déclarations d’inaptitudepar an (source:
revue
Santé & Travail n°83, juillet
2013). De plus, environ
150 000 personnes perdraient
leur emploi suite à un problème de santé (source: "
L'inaptitude médicale au poste de travail: enquête
épidémiologique descriptive dans trois services de santé au travail
en Meurthe-et-Moselle en 2007 " -- thèse de médecine de Caroline
Manet, page 20).
L'inaptitude: une étape vers l'exclusion sociale ?
L’inaptitude médicale au travail apparaît donc d’emblée comme
une
problématique majeure. Humaine tout d’abord.
Fréquemment âgés de plus de 50 ans, atteints en majorité d’affections de
l’appareil locomoteur ou de troubles mentaux ou comportementaux, «
le
devenir de ces salariés est dominé par le licenciement et le chômage :
moins d’un sur dix est maintenu dans l’emploi ». Pire, 32 à 50 % des
inaptes quitteraient leur emploi
sans aucune solution (invalidité,
retraite, formation etc -- source: revue "
Santé & Travail " préc.).
Juridique ensuite. Le fait que l’inaptitude médicale au travail se
confonde trop souvent avec une sortie définitive du monde professionnel ne peut
qu’exacerber les enjeux financiers. Et, accessoirement,
inciter au
contentieux. Ce qui pourrait expliquer en partie l’augmentation des
recours contre les avis des médecins du travail mais aussi les réformes en
cours.
De la constatation médicale de l’inaptitude jusqu'à un éventuel recours
prud'homal, c’est donc un chemin semé d’embûches que doit emprunter le salarié.
Un parcours qui le mène vers un avenir très incertain, aux frontières de
l’exclusion sociale.
I - La constatation de l'inaptitude médicale au travail
Aux termes de l’article R.
4624-31 du Code du travail, «
Le médecin
du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de
travail que s'il a réalisé :
(…)
3° Deux examens médicaux de l'intéressé
espacés de deux semaines, accompagnés, le cas échéant, des
examens complémentaires ».
Par exception, l’inaptitude peut être prononcée un une seule visite «
lorsque
le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger
immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ou
lorsqu'un examen de préreprise a eu lieu dans un délai de
trente jours au plus » (ibid. dernier alinéa).
La déclaration d’inaptitude obéit donc à un formalisme sur lequel il
convient de s’arrêter un instant.
A) Le formalisme de la déclaration d’inaptitude
1) Nécessité de procéder à deux examens médicaux
- La première visite visite
Dans la plupart des cas, la procédure commence lors de la
visite
de reprise consécutive à un arrêt de travail : celle-ci est
obligatoire après 30 jours d’absence ou en cas de maladie professionnelle
(quelle qu’en soit la durée – voir article R.
4624-22 du Code du travail).
Mais il peut aussi s’agir d’une visite périodique ou d’une visite
supplémentaire à la demande de l’employeur ou du salarié. L’inaptitude peut en
effet être constatée «
après tout examen médical [pratiqué]
au
cours de l'exécution du contrat de travail » (Cass soc, 8 avril 2010,
n°
09-40975).
A noter toutefois qu’il appartient au salarié d’avertir son
l’employeur lorsqu'il sollicite lui-même une visite de reprise (Cass soc, 26
janvier 2011, n°
09-68544 ; Cass soc, 30 juin 2009, n°
08-41637) – faute de quoi l’inaptitude ne pourrait pas
être valablement constatée.
En cas
d’arrêt de travail de plus de 3 mois, une
visite de pré-reprise peut aussi être organisée à la demande du salarié, du
médecin-conseil de la sécurité sociale ou du médecin traitant. L’avis rendu à
cette occasion sera pris en compte dans le cadre de la procédure de déclaration
d’inaptitude
si la visite de reprise intervient dans un délai de
30 jours : le médecin du travail pourra alors statuer définitivement
sur l’aptitude du salarié lors de la visite de reprise.
La deuxième visite médicale, qui ne peut intervenir
avant un
délai de 2 semaines, doit permettre au médecin du travail de réaliser
une étude du poste de travail auquel est affecté le salarié et, plus largement,
«
des conditions de travail dans l’entreprise » (art. R.
4624-31 du Code du travail).
Manque ainsi à ses obligations déontologiques le médecin du travail
qui établit un avis d’inaptitude «
à partir des seuls dires de la
salariée, sans analyse précise du poste de travail ni échange préalable avec [l’employeur] »
(Conseil d’Etat 10 février 2016 n°
384299).
2) L’exception : existence d’un danger immédiat pour la
santé ou la sécurité
Par exception, lorsque le maintien du salarié à son poste de travail
entraînerait «
un danger immédiat pour
sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers » (art. R. 4624-31
dernier aliéna du Code du travail), l’inaptitude peut être prononcée à
l’issue
d’un seul examen médical.
Il faut cependant que le médecin du travail fasse expressément
référence à une situation de danger ou aux dispositions de l’article R. 4624-31
du Code du travail en indiquant «
qu’une seule visite est effectuée »
(Cass soc, 21 mai 2008, n°
07-41380).
Ce formalisme est strict.
Par conséquent, il ne suffit pas de viser l’urgence et l’article R.
4624-31 : il faut indiquer explicitement qu’il s’agit d’une inaptitude
définitive, c’est-à-dire
prononcée sans nouvel examen médical (Cass
soc, 20 janvier 2010, n°
08-45270).
3) Un formalisme sévèrement sanctionné
L’article L.
1132-1 du Code du travail interdit toute mesure
discriminatoire «
en raison de l’état de santé du salarié ».
Par exception, une différence de traitement «
fondée sur
l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé
ou du handicap » ne constitue pas une discrimination (art. L.
1133-3 du Code du travail).
Mais l’absence de discrimination suppose que l’inaptitude ait
été
régulièrement constatée.
Autrement dit, si la procédure réglementaire n’est pas respectée, le
licenciement du salarié sera nécessairement discriminatoire.
Et
donc nul (jurisprudence constante – voir par exemple :
Cass soc, 30 novembre 2010, n°
08-45237).
Il en va ainsi lorsque les deux examens médicaux sont espacés de 13
jours au lieu de 2 semaines (Cass soc, 20 septembre 2006, n°
05-40241).
Toute irrégularité emporte les mêmes conséquences (absence de deuxième
visite, mauvaise rédaction de la fiche d’aptitude etc).
Le salarié peut alors obtenir sa réintégration ou une indemnisation.
B) La contestation de l’avis du médecin du travail
La question du recours contre l’avis du médecin du travail est assez
épineuse. Pour l’instant, aux termes de l’article L. 4624-1 du Code du travail,
c’est l’inspecteur du travail qui est compétent pour trancher ce
contentieux. Il peut être saisi par le salarié ou par l’employeur et doit
systématiquement recueillir l’avis du médecin inspecteur du travail.
Comme indiqué précédemment, la Cour de cassation contrôle la procédure
de déclaration d’inaptitude (nombre de visites, délais, référence à une
situation de danger si l’inaptitude a été prononcée en une seule visite etc).
Mais, sur le fond, les avis du médecin du travail s’imposent au juge judiciaire
en l’absence de recours devant l’inspecteur du travail (Cass soc, 17 décembre
2014, n°
13-12277).
Du moins pour l’instant.
Car le projet de loi relatif au travail, à la modernisation du
dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (ou
projet de loi « El Khomri ») prévoit un transfert de compétence au
profit de la formation de référé du Conseil de prud'hommes : l’auteur
du recours devra introduire une demande de désignation d’un médecin-expert
(nouvel art. L. 4624-7 du Code du travail).
II - Les conséquences de l’inaptitude médicale : un salarié en sursis
A partir du moment où l’inaptitude médicale au poste de travail est
déclarée, l’emploi du salarié concerné est en suspens : ce sera soit
un reclassement sur un autre emploi, soit un licenciement.
Comme le formule l’article L. 1226-2 du Code du travail (qui concerne
les inaptitudes d’origine non professionnelle), «
lorsque, à l'issue
des périodes de suspension du contrat de travail (…), le salarié est déclaré
inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait
précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses
capacités ».
La proposition d’emploi prend en compte «
les conclusions
écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur [les
capacités]
du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans
l'entreprise » (ibid alinéa 2).
Dans sa dernière version, le projet de loi relatif au travail, à la
modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours
professionnels (ci-après projet de loi « travail ») prévoit une
consultation des délégués du personnel comme cela existe déjà en cas
d’inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie
professionnelle.
Si la jurisprudence a donné une acception très large à l’obligation de
reclassement, le projet de loi « travail » en réduit la portée et le
contenu.
A) Portée de l’obligation de reclassement
1) Portée matérielle : le cas des inaptitudes à tout poste
Malgré une question prioritaire de constitutionnalité, l’obligation de
rechercher une solution de reclassement en cas d’inaptitude à tout poste dans
l’entreprise a été maintenue (Cass soc Qpc, 13 janvier 2016, n°
15-20822) car l’employeur conserve la faculté de
licencier le salarié s’il peut justifier «
de l'impossibilité où il se
trouve de [le]
reclasser ».
Le législateur est cependant venu à la rescousse des employeurs.
En effet, un nouvel article L. 1226-2-1 issu du projet de loi
« travail » dispense l’employeur de tout effort de reclassement
lorsque l’avis du médecin du travail mentionne expressément :
que «
tout maintien du salarié dans un emploi
serait gravement préjudiciable à sa santé » ;
«
ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout
reclassement dans un emploi ».
Sous cette réserve, l’obligation de reclassement est générale. Elle
s’impose que l’inaptitude soit temporaire ou définitive, totale ou partielle, y
compris lorsque le salarié a manifesté l’intention de ne pas reprendre le
travail (Cass soc, 4 juin 1998, n°
95-41263).
2) Portée géographique : l’ensemble du groupe
La recherche d’un poste de reclassement inclut l’ensemble des établissements
de l’entreprise. S'y ajoutent, si cette dernière appartient à un groupe,
«
les entreprises[du groupe]
dont les activités,
l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la
permutation de tout ou partie du personnel » (Cass soc, 24 juin 2009,
n°
07-45656).
Il ne suffit donc pas de se limiter à quelques régions ; la recherche
doit être exhaustive (Cass soc, 14 juin 2016, n°
14-22435).
En revanche, le fait d’adresser des courriers détaillés et
personnalisés aux différents établissements du groupe répond aux obligations de
l’employeur (Cass soc, 30 novembre 2010, n°
09-42236)
3) Portée temporelle : le délai d’un mois
Faute de pouvoir occuper son poste – et sous réserve de la possibilité de
l’affecter temporairement à un autre emploi correspondant à ses capacités –, le
salarié ne peut prétendre à aucune rémunération.
Pour des raisons tout à fait évidentes, cette situation ne saurait durer
éternellement !
C’est pourquoi le législateur a fixé une limite précise :l’employeur
dispose d’un délai d’un mois pour reclasser ou licencier le salarié
inapte (art. L. 1226-4 du Code du travail).
Ce délai court à compter de la seconde visite médicale de reprise sauf si
l’inaptitude est déclarée en une seule visite en raison d’un danger immédiat
pour la santé ou la sécurité du salarié ou des tiers (cf notre article
précédent).
Principale conséquence : s’il est dépassé, l’employeur doit reprendre
le versement du salaire correspondant à l’emploi occupé avant la
suspension du contrat de travail et ce, jusqu'à ce que le salarié soit reclassé
ou licencié.
A l’inverse, un délai extrêmement bref – par exemple, trois
jours ! – suffira à démontrer l’absence de «
tentative sérieuse
de reclassement » (Cass soc, 30 avril 2009, n°
07-43219).
A noter enfin que ce dispositif ne bénéficie qu’aux salariés dont
l’inaptitude est consécutive à un arrêt de travail et qui
passent donc une visite de reprise : dans les autres situations,
l'employeur n'est pas tenu au paiement du salaire au bout d'un mois.
B) Contenu de l’effort de reclassement
L’effort de reclassement dont est redevable l’employeur
consiste à identifier les emplois disponibles au sein de l’entreprise
et éventuellement du groupe qui correspondent aux préconisations du médecin du
travail ou qui pourraient être adaptés selon ces préconisations.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’employeur n’est pas tenu de
libérer le poste occupé par un collègue de travail (Cass soc, 15 novembre 2006,
n°
05-40408), ni de créer un nouveau poste.
Reclassement aux meilleures conditions possibles
Tous les postes peuvent être proposés, même s’ils ne sont disponibles
que temporairement : le reclassement se fera alors en CDD (Cass soc, 10
février 2016, n°
14-16156).
L’emploi proposé doit toutefois être aussi comparable que possible à celui
que le salarié occupait avant la procédure d’inaptitude (Cass soc, 29
janvier 2002, n°
99-45989).
Ce n’est qu’à défaut de poste équivalent qu’un emploi impliquant une
modification du contrat de travail (baisse de rémunération, changement de
qualification, éloignement géographique important etc) peut être proposé.
Dans tous les cas, il faut bien sûr tenir compte des conclusions écrites
du médecin du travail sur les capacités du salarié à exercer l’une des
tâches existantes dans l’entreprise ou à suivre une formation (art. L. 1226-2
du Code du travail avec les modifications envisagées par le projet de loi
« travail »).
La proposition doit notamment mentionner la qualification du poste, la
rémunération et les horaires de travail.
Que se passe-t-il en cas de refus du salarié ?
«
Lorsque la proposition de reclassement emporte modification
du contrat de travail ou des conditions de travail », le refus du
salarié ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement
(Cass soc, 19 juin 2013, n°
12-12018).
L’employeur devra faire de nouvelles propositions et, en cas
d’impossibilité, prononcer le licenciement du salarié inapte (Cass soc, 9 avril
2002, n°
99-44192).
La jurisprudence impose donc à l’employeur de poursuivre l’effort de
reclassement jusqu'à épuisement de toutes les possibilités.
Sur ce point, le projet de loi « travail » est moins exigeant. Un
nouvel article L. 1226-2-1 du Code du travail pose pour principe que
l’employeur devra simplement faire «
connaître par écrit les motifs
qui s’opposent [au]
reclassement » lorsqu'il
lui est impossible de
« proposer un autre emploi au salarié ».
Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, l’alinéa 3 enfonce le clou :
«
l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque
l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions
prévues à l’article L. 1226-2, en prenant en compte l’avis et les indications
du médecin du travail ».
En clair, sauf à démontrer qu’il était possible de reclasser le salarié sur
un emploi présentant plus de similitudes avec son poste actuel, l’employeur
pourra se contenter de ne faire qu’une seule proposition avant
d’engager une procédure de licenciement.
Toutefois, si le salarié conteste la compatibilité du poste proposé avec son
état de santé, l’employeur devra solliciter à nouveau l’avis du médecin du
travail avant de poursuivre la procédure en faisant de nouvelles propositions
ou en prononçant le licenciement (Cass soc, 23 septembre 2009, n°
08-42525).
Source: Veille Juridique n°105 de l'UR CFTC Centre-Val de Loire - 17.07.2016