Par Morgane
Remy le 05/09/2019 L'AGEFI Hebdo
Réforme de la représentation, émergence du numérique,
qualité de vie au travail, la rentrée sociale s’annonce musclée.
« Les organisations syndicales se doivent d’être vigilantes mais
il est important de souligner que tous les groupes bancaires signent des
accords souvent très majoritaires, ce qui dénote un dialogue social fédérateur,
vivace et productif », annonce André-Guy Turoche, directeur des affaires sociales de
l’Association française des banques (AFB). Autrement dit, les syndicalistes
n’hésitent pas à monter au créneau mais in fine les accords sont signés.
S’il fonctionne encore bien, le dialogue social laisse apparaître des tensions
sur fond de plans sociaux, restructurations des agences et pression sur les
marges.
Cette année,
les négociations ont été particulièrement tendues, suite aux accords liés à
l’ordonnance dite Macron entrée en vigueur le 22 septembre 2017 et à la réforme
de la formation professionnelle. L’ordonnance est le premier sujet de
crispation. Elle fusionne les institutions représentatives du personnel en une
seule instance : le comité social et économique (CSE). La crainte des
syndicats est de disposer de moins de moyens et de moins de représentants du
personnel. « Globalement, le climat social s’est tendu, confirme
Mireille Herriberry, à la tête de la section banques et sociétés financières de
Force ouvrière (FO). Certaines banques, comme LCL, ont refusé d’octroyer des
représentants de proximité. »
« Nous
perdons beaucoup de militants, qui avaient acquis une véritable expertise et du
savoir juridique, poursuit
Mireille Herriberry. Cela ne peut qu’affaiblir le dialogue social. »
Le point de vue de FO est loin d’être isolé. « La question se pose avec
beaucoup d’acuité dans les banques encore très territoriales, comme la Caisse
d’Epargne, note Vladimir Djordjevic, de la CFTC. Certes, les élus ont
bénéficié d’un accord de reconversion efficace, mais notre présence dans les
agences est bien moindre alors que le réseau est en train de se restreindre et
de se restructurer. » Un avantage, « cela a été l’occasion de
discuter du fonctionnement, de reposer les choses avec la direction, qui a été
à l’écoute ».
Les
syndicats évoquent entre 25 % et 50 % de moyens en moins selon les
établissements. « Je ne pense pas que l’impact soit si important,
réagit André-Guy Turoche. Il y aura certes moins de mandats et de cumuls,
mais la hausse du nombre d’heures par mandat ainsi que les aménagements fixés
par les accords d’entreprise devraient équilibrer la balance. » Pour
l’AFB, la réunion des instances est de nature à optimiser le processus, pour le
bien de tous. « Les syndicats sont évidemment nécessaires. L’écosystème
bancaire est en train de changer, et nous avons besoin de partenaires assurant
le relais avec les salariés pour que cette mue se fasse »,
ajoute-t-il.
Compétences à redéfinir
La banque
doit faire face à bien des enjeux, dont la plupart sont liés au numérique. Les
clients font de plus en plus d’opérations en ligne : des agences ferment
et la clientèle informée recherche une expertise poussée. « Le secteur
bancaire a su absorber les vagues précédentes mais cette fois les enjeux sont
encore plus importants que jamais en termes de compétences. Toute une
population de salariés doit monter en compétences, nous devons gérer des
reconversions, anticiper la disparition de certains métiers et l’apparition de
nouveaux », analyse Luc Mathieu, secrétaire général de la fédération
CFDT banques et assurances. Ces questions occupent aujourd’hui les
négociations. A court terme, avec des marges contraintes, les banques
surveillent de près les enveloppes d’augmentation. A plus long terme, il faut
former la masse salariale pour la conserver et pour garder les établissements
compétitifs. « Les banques se sont beaucoup concentrées sur des
formations aux outils informatiques et normatifs, note Luc Mathieu. Or, que
ce soit au plus haut niveau de la BFI ou au guichet d’une agence, ce qui
distinguera le salarié des algorithmes est son empathie avec le client et sa
créativité pour trouver des solutions. »
En outre,
les logiciels et le fait de demander aux clients de constituer eux-mêmes leur
dossier font gagner du temps. « Dans certaines banques mutualistes, les
directions affirment que le temps dégagé doit permettre aux salariés
d’approfondir la relation avec le client, conclut Luc Mathieu. Dans
d’autres, comme à BNP Paribas ou à la Société Générale, cela permet de faire
baisser les effectifs. »
Ces
suppressions d’emplois sont aussi une façon de préparer l’avenir et certains
partenaires sociaux le comprennent. « Confrontée à un environnement
difficile et concurrentiel, la Société Générale se recentre sur son cœur de
métier et tente de maîtriser l’évolution de ses frais généraux, reconnaît
Pascal Colin, délégué national adjoint de la CFTC (3e syndicat). En
renforçant sa situation capitalistique et en rémunérant ses actionnaires
confortablement, elle s’efforce de rassurer les marchés et de conforter le
bien-fondé de ses choix stratégiques. Les salariés, quant à eux, vivent moins
bien ces transformations. » La mise en place de formations
personnalisées, les aides à la mobilité, inscrites dans le cadre de l’accord
emploi et d’accords spécifiques, sont là pour que chacun puisse trouver sa
place dans l’entreprise. Pour autant, le niveau du turnover et l’implication
moindre des salariés restent des sujets sensibles.
Le secteur
bancaire a longtemps été un eldorado pour les salariés, qui pouvaient faire
carrière dans un seul établissement, avec des conditions de travail
avantageuses. En contrepartie, ces derniers étaient attachés à leur entreprise.
Mais aujourd’hui, la charge de travail augmente, les possibilités de progresser
diminuent. Stress, burn out et turnover n’épargnent pas le secteur. « Le
réglementaire surcharge nos établissements. Parallèlement, il y a de moins en
moins de créations de postes et de remplacements des démissions et des départs
à la retraite », note Franck Brunella, délégué syndical de la branche
Banque Populaire. « Toutes les semaines, des collaborateurs nous
appellent à l’aide parce qu’ils craquent ! On voit des agents pleurer sur
le terrain, ajoute Pascal Belouis, délégué syndical national CFTC au sein
de HSBC France, qui dénonce des négociations complexes, « liées à la
culture anglo-saxonne, éloignée du dialogue social à la française ».
« On voit aussi beaucoup de démissions de jeunes en période d’essai, et
ça, c’est nouveau », relève-t-il.
Charge de travail croissante
Le rapport
de force est utilisé à plein, quitte à ne pas signer un accord. « Les
syndicats du Crédit Mutuel ont refusé celui sur la qualité de vie au travail
[QVT], explique Claude Bailer, président national SNB (affilié CFE-CGC). Nous
ne parlions pas suffisamment du vrai problème : la charge de travail
toujours croissante. » Le syndicat a accepté de signer, trouvant que
cet accord constituait une avancée, notamment sur le télétravail. Mais les
négociations ont finalement achoppé faute de consensus sur la charge de
travail. « Cet accord ne traite pas le fond du problème,
reconnaît-il. On nous propose des outils, comme un logiciel de gestion des
e-mails, mais le réglementaire pèse bien plus que cela sur les épaules des
salariés. »
Dernier
sujet habituel de la rentrée, celui des rémunérations, encore lié à la
transition numérique. « Les investissements colossaux dans
l’informatique coûtent cher et ne sont pas réinjectés dans l’intéressement et la
participation. Il y a une double pénalité pour les rémunérations : les
augmentations sont de moins en moins globales, privilégiant les primes
individuelles », annonce Xavier Deschamps, président de la fédération
CFTC banques. Dans un contexte de taux bas et de marges contenues, les
conventions, très favorables, du secteur ont tendance à être revues à la
baisse. « Notre direction souhaite revoir à la baisse les congés, le
système d’avancement automatique mais aussi les fiches de postes, avec des
responsabilités qui progressent bien plus que la grille de salaires,
détaille Didier Mérignac, délégué syndical groupe SNB du Crédit Mutuel Arkéa. Nous
sentons que la direction veut désosser notre convention collective pour
valoriser uniquement ceux qu’elle juge les plus méritants. Elle récompense la
performance individuelle au détriment de mesures collectives. »
Les
syndicats manœuvrent entre concessions et revendications. « Nous avons
tous intérêt à discuter car les enjeux auxquels nous devons faire face sont
immenses, note Samuel Mathieu, de la Caisse Régionale Crédit Agricole
Nord-Est, membre du Sneca (Syndicat national de l’entreprise Crédit Agricole). Des
métiers vont disparaître, d’autres seront créés. Nous devons nous assurer que
personne ne sera laissé au bord du chemin. » Cela passe par des
investissements massifs dans la formation des salariés, et une véritable
politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).