19 mars 2019

Chronique juridique : Conseil des Prud'hommes, attention au strict respect des procédures.


"C'est une erreur de la DRH, vous devez rembourser ?"
Par Claire Padych,publié le 18/03/2019 à 07:35 , mis à jour à 09:42
l'express

"Elle n'a pas réclamé ses primes en 2016 et 2017 car elle savait qu'elle avait participé à la baisse du chiffre d'affaires", attaque l'ex-employeur de Lydie aux prud'hommes.


Licenciée pour insuffisance professionnelle, Lydie attaque son ex-employeur aux prud'hommes. Ce dernier en profite pour lui réclamer un trop-perçu.
Les conflits qui animent les prud'hommes reflètent, chaque jour, notre histoire sociale. L'audience de jugement est publique. Régulièrement, une journaliste de L'Express assiste aux débats. 

Paris, conseil des prud'hommes, section encadrement, le 12 octobre 2018 à 14h50. 
Entouré de trois conseillères, le président appelle les deux avocates qui représentent Lydie (1) et son ex-employeur, une société d'habillement.  
Le président : Madame était directrice commerciale et marketing, entrée le 21 avril 2008. Le licenciement lui a été notifié le 1er septembre 2017, le préavis lui est payé et elle en est dispensée. Elle sort des effectifs quatre mois plus tard. En salaire de référence, j'ai 10 390 ou 10 307 euros. Lequel prend-on ? 
L'avocate de Lydie : 10 390,58 euros, c'est la référence de Pôle emploi. 
Le président : Maître, vos demandes ? 
L'avocate de Lydie : Ma cliente a été licenciée pour insuffisance professionnelle. Je demande que le conseil ordonne à la société de lui verser 34 000 euros d'indemnisation de rémunération variable et 3 400 euros de congés payés afférents, 4 480 euros de dotation vestiaire ou frais de représentation, 200 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 50 000 euros pour préjudice moral distinct et 5 000 euros d'article 700
L'avocate de l'employeur : Si vous permettez, je vous demande de débouter madame de l'intégralité de ses demandes et j'ai une demande reconventionnelle : de la condamner à rembourser un trop-perçu de 9 792,98 euros. C'est une erreur du service du personnel dans son solde de tout compte. Si vous deviez nous condamner, je vous demanderais de déduire cette somme du global. Et je demande 5 000 euros au titre de l'article 700. 
Le président : Très bien, les demandes étant épuisées de part et d'autre, le conseil vous écoute. 
L'avocate de Lydie : Ma cliente est diplômée de l'Essec et de l'Institut français de la mode. Elle a vingt ans d'ancienneté dans le luxe, elle était directrice commerciale et développement dans une autre enseigne avant d'être recrutée en avril 2008 comme directrice commerciale et marketing par cette société de vêtements de luxe. 
Elle a le statut de cadre autonome, gagne environ 125 000 euros par an avec une rémunération variable. Mais lors de l'exécution du contrat de travail, vous ne trouverez aucun entretien d'évaluation, aucune fixation d'objectif, aucun rappel à l'ordre, jusqu'au jour où on la licencie pour insuffisance professionnelle.  
Le président : Sur le déroulement de son contrat de travail ? 
L'avocate de Lydie : Elle est très investie dans ses fonctions. Elle a fait progresser le CA [chiffres d'affaires, ndlr] de la société à 49,9 millions d'euros en 2012, soit 17 millions de plus qu'en 2008. Mais en 2013, il y a un ralentissement de l'activité, le facteur est conjoncturel, il y a une crise du prêt-à-porter. Cela ne s'arrange pas et 2016 est la pire année. 
Les choix qui sont faits en interne sans son accord posent problème, comme l'arrêt du défilé d'une marque phare et la réduction d'effectifs en boutique. Il y a une diminution de ses responsabilités alors qu'elle est directrice. Cela va s'aggraver jusqu'à son licenciement. 
En réalité, on lui reproche de ne pas avoir pris les mesures qu'elle devait prendre pour enrayer la chute du CA. On lui reproche de ne pas avoir mis en place de plan d'action pour le développement commercial et... 
Le président : Qui est son N+1 ? 
L'avocate de Lydie : Le directeur général et la présidente. 
Le président (à Lydie) : Vous étiez membre du "Codir" [comité de direction, ndlr] ? 
Lydie : Il n'y avait pas de Codir. 
Le président : Combien y a-t-il de salariés ? 
L'avocate de l'employeur : Plus de 100.  
Le président : Que dit la lettre de licenciement ? 
L'avocate de l'employeur : Elle est très construite. On ne lui reproche pas le CA, on lui reproche de ne pas avoir pris de disposition pour redresser le CA. 
Le président : Le CA s'est dégradé entre 2013 et 2016 ? 
L'avocate de l'employeur : Oui. Ma consoeur vous dit : "C'est la crise". Non, on ne lui reproche pas la crise. On lui reproche son inertie. On lui reproche son manque de réactivité, de ne pas avoir établi de plan d'action, et on lui reproche un mauvais encadrement du personnel sous ses ordres. 
Le président : Expliquez-nous le manque de réactivité. 
L'avocate de l'employeur : Aucun plan d'action commerciale. On ne nous donne que des documents superficiels, comme un pauvre powerpoint de 11 pages, sans chiffres. C'est hallucinant. 
Elle aurait initié un nouveau partenariat avec un grand magasin du boulevard Haussmann. Mais elle n'a rien fait, cela a été réalisé sans elle. En décembre 2016, elle monte une action d'inauguration pour des clients sélectionnés qui viennent boire du champagne dans des gobelets en plastique. Pour le rendu commercial, vous m'expliquerez. On croit que c'est une blague. 
L'avocate de Lydie : Elle a fait un travail de négociation complexe et elle est parvenue à monter une boutique dans des conditions très difficiles. L'inauguration se fait avec l'enveloppe commerciale dont elle dispose. Elle était très appréciée par les directions des grands magasins. 
Le président : D'autres griefs ? 
L'avocate de l'employeur : Elle aurait également dû faire un plan de développement vers les nouveaux marchés. Europe de l'Est, Asie, Amérique du Sud... Il est important qu'on redresse la barre à l'international. Le négoce fait 55 % du CA. Elle produit un document stratégique, mais sans aucune mesure concrète. 
Le président : Les perspectives ? Les moyens ? Les actions ? 
L'avocate de l'employeur (souffle avec dédain) :Vous le lirez avec intérêt ! 
Le président : Bon...  
L'avocate de l'employeur : Beaucoup de pièces ne proviennent pas d'elle, elle se les approprie. Elle aurait mis en place un atelier en Corée.  
Le président : On regardera. En conclusion ? 
L'avocate de l'employeur : Elle est directrice commerciale et ne fait jamais de déplacement à l'international ! Pas de visite sur le terrain, jamais de déplacement pour encadrer ses troupes.  
L'avocate de Lydie : On lui reproche de ne pas avoir recadré les équipes, pas de présence optimale dans les boutiques. Il y a une politique de réduction drastique des effectifs qui entraîne des problèmes dans les plannings et qui se double d'un problème d'informatique. Elle fait ce qu'elle peut. 
L'avocate de l'employeur : Responsable de rien, surtout ! Elle n'a pas réclamé ses primes en 2016 et 2017 car elle savait qu'elle avait participé à la baisse du CA. Et là, elle vient vous demander 34 000 euros ! 
Le président : Vous en avez fini ? 
L'avocate de Lydie : Monsieur le président, j'ai fait un chiffrage à 200 000 euros pour les dommages et intérêts car elle a plus de 50 ans, un licenciement vexatoire que je chiffre à 50 000 euros et on a oublié de lui payer ses frais de représentation. Je me suis aligné sur les chiffres des années précédentes. 
L'avocate de l'employeur : Et moi, je demande un trop-perçu du solde de tout compte... 
L'avocate de Lydie : Une somme qui aurait été indue et qu'on me réclame plus d'un an plus tard, lorsqu'on saisit les prud'hommes. 
L'avocate de l'employeur : C'est une erreur de la DRH. Vous devez les rembourser. 
Le président (appelle Lydie) : S'il vous plaît, madame, approchez. Vous êtes diplômée de l'Essec ? 
Lydie : Oui, monsieur le président. 
Le président : Diplômée de l'Essec avec dix ans d'ancienneté, vous acceptez de travailler sans objectif ? 
Lydie : J'ai perçu 17 000 euros de rémunération variable chaque année, même quand il y a eu baisse du CA. 
Le président : Qui fixait les objectifs ? 
Lydie : Le directeur général.  
Le président : Vous sortez de l'Essec et on vous met sur le bureau vos "objectifs négoce" ? 
Lydie : Il n'y avait pas d'objectif de CA fixé. Il y avait des objectifs de croissance non formalisés.  
Le président : Comment ? 
Lydie : En pourcentage.  
Le président : Dix ans en opérationnelle, vous êtes en réunion avec eux. À un moment on vous dit : "C'est fini. Combien ?" La négo a commencé comment ? 
Les deux avocates ensemble : Non. Aucune négo. 
Lydie : J'ai juste vu la DRH qui m'a dit : "Tu vas recevoir ta lettre de licenciement." 
Le président : Selon vous, pourquoi avez-vous quitté cette maison ? 
Lydie : Sincèrement, je suis toujours dans la perplexité. J'étais toujours sur le terrain. En 2015, l'année des attentats, la baisse du CA se fait ressentir dans les boutiques. J'ai proposé des remèdes. 
Le président : Vous faisiez quoi avant ? 
Lydie : J'étais dans de grandes maisons de luxe.  
Le président : Et aujourd'hui ? 
Lydie : J'ai 54 ans, 53 ans au moment de mon éviction. C'est plus difficile à mon âge de retrouver du travail. L'annonce a été brutale. J'ai beau être forte, cela m'a anéantie et je cherche encore. 
15h35Le président : Merci. 
Verdict, le 18 janvier 2019. Lydie est déboutée. Son employeur est débouté de sa demande du trop-perçu. 

Notre avis:

  • Attention les choix des procédures et le respect des délais sont très strictement fixés.
    • Pour avoir une chance de gagner, faites-vous accompagner par des représentants du personnel aguerris 
      • Au sein de la section CFTC de BPCE Sa, Isabelle est conseillère prud'hommes à Paris.
        • Pour tout conseil ou accompagnent, n'hésitez pas à nous contacter.


Le solde de tout compte en clair
Le solde de tout compte est établi par l'employeur et remis au salarié qui quitte son emploi, quelle que soit la nature du contrat (CDI, CDD, contrat temporaire) et quel que soit le motif de la rupture (licenciement, démissionrupture conventionnellefin du CDD). 
Il fait l'inventaire de l'ensemble des sommes versées au salarié (par chèque ou par virement) à l'occasion de la rupture. Il doit être remis à la fin du préavis, que celui-ci ait, ou non, été effectué. Mais la loi n'oblige pas le salarié à le signer. Celui-ci a six mois suivant la date de signature ou de remise du document pour le contester (article L 1234-20 du code du travail), de deux ans s'il a émis des réserves lors de la signature du document ou s'il ne l'a pas signé (article L 1471-1 du code du travail). 
L'article D1234-8 du code du travail impose au salarié de dénoncer le reçu pour solde de tout compte par lettre recommandée adressée à son employeur et de mentionner précisément les raisons de la contestation. 
Si le recours porte sur des sommes qui ne sont pas mentionnées dans le reçu pour solde, le salarié dispose d'un délai de trois ans pour le contester. 
L'employeur peut réclamer les sommes versées en trop pendant trois ans également (article L 3245-1 du code du travail). 
En cas de contestation de part et d'autre, le conseil des prud'hommes est compétent pour régler le litige. Si le salarié doit payer un trop-perçu, il doit alerter l'administration fiscale pour que la somme soit déduite de son impôt sur le revenu. 
Attention aux délais : la Cour de cassation dispose qu'il ne suffit pas de dénoncer le reçu dans les six mois mais, pour que la saisine aux prud'hommes soit recevable. La convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) doit aussi être faite dans les six mois après la remise du solde de tout compte (7 mars 2018, pourvoi n°16-13.194). 

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