"C'est une erreur de la DRH, vous devez rembourser ?"
Par Claire Padych,publié
le 18/03/2019 à 07:35 , mis à jour à 09:42
l'express
"Elle n'a pas réclamé ses primes en 2016 et 2017 car elle savait
qu'elle avait participé à la baisse du chiffre d'affaires", attaque
l'ex-employeur de Lydie aux prud'hommes.
Licenciée pour insuffisance
professionnelle, Lydie attaque son ex-employeur aux prud'hommes. Ce dernier en
profite pour lui réclamer un trop-perçu.
Les conflits
qui animent les prud'hommes reflètent, chaque jour, notre histoire sociale.
L'audience de jugement est publique. Régulièrement, une journaliste de
L'Express assiste aux débats.
Paris, conseil
des prud'hommes, section encadrement, le 12 octobre 2018 à 14h50.
Entouré de trois conseillères, le
président appelle les deux avocates qui représentent Lydie (1) et son
ex-employeur, une société d'habillement.
Le président
: Madame était directrice
commerciale et marketing, entrée le 21 avril 2008. Le licenciement lui a été
notifié le 1er septembre 2017, le préavis lui est payé et elle en est
dispensée. Elle sort des effectifs quatre mois plus tard. En salaire de
référence, j'ai 10 390 ou 10 307 euros. Lequel prend-on ?
L'avocate de
Lydie : 10 390,58 euros, c'est la référence
de Pôle emploi.
Le président
: Maître, vos demandes ?
L'avocate de
Lydie : Ma cliente a été licenciée
pour insuffisance professionnelle. Je demande que le conseil ordonne
à la société de lui verser 34 000 euros d'indemnisation de rémunération
variable et 3 400 euros de congés payés afférents, 4 480 euros de dotation
vestiaire ou frais de représentation, 200 000 euros de dommages et intérêts
pour licenciement
sans cause réelle et sérieuse, 50 000 euros pour préjudice moral
distinct et 5 000 euros d'article
700.
L'avocate de
l'employeur : Si vous permettez, je vous demande
de débouter madame de l'intégralité de ses demandes et j'ai une demande
reconventionnelle : de la condamner à rembourser un trop-perçu de 9 792,98
euros. C'est une erreur du service du personnel dans son solde de
tout compte. Si vous deviez nous condamner, je vous demanderais de
déduire cette somme du global. Et je demande 5 000 euros au titre de l'article
700.
Le président
: Très bien, les demandes étant
épuisées de part et d'autre, le conseil vous écoute.
L'avocate de
Lydie : Ma cliente est diplômée de l'Essec
et de l'Institut français de la mode. Elle a vingt ans d'ancienneté dans le
luxe, elle était directrice commerciale et développement dans une autre
enseigne avant d'être recrutée en avril 2008 comme directrice commerciale et
marketing par cette société de vêtements de luxe.
Elle a le statut de cadre autonome,
gagne environ 125 000 euros par an avec une rémunération variable. Mais lors de
l'exécution du contrat de travail, vous ne trouverez aucun entretien
d'évaluation, aucune fixation d'objectif, aucun rappel à l'ordre, jusqu'au jour
où on la licencie pour insuffisance professionnelle.
Le président
: Sur le déroulement de son contrat
de travail ?
L'avocate de
Lydie : Elle est très investie dans ses
fonctions. Elle a fait progresser le CA [chiffres d'affaires, ndlr] de la
société à 49,9 millions d'euros en 2012, soit 17 millions de plus qu'en 2008.
Mais en 2013, il y a un ralentissement de l'activité, le facteur est
conjoncturel, il y a une crise du prêt-à-porter. Cela ne s'arrange pas et 2016
est la pire année.
Les choix qui sont faits en interne sans
son accord posent problème, comme l'arrêt du défilé d'une marque phare et la
réduction d'effectifs en boutique. Il y a une diminution de ses responsabilités
alors qu'elle est directrice. Cela va s'aggraver jusqu'à son
licenciement.
En réalité, on lui reproche de ne pas
avoir pris les mesures qu'elle devait prendre pour enrayer la chute du CA. On
lui reproche de ne pas avoir mis en place de plan d'action pour le
développement commercial et...
Le président
: Qui est son N+1 ?
L'avocate de
Lydie : Le directeur général et la
présidente.
Le président
(à Lydie) : Vous étiez membre du "Codir"
[comité de direction, ndlr] ?
Lydie : Il n'y avait pas de Codir.
Le président
: Combien y a-t-il de salariés
?
L'avocate de
l'employeur : Plus de 100.
Le président
: Que dit la lettre de
licenciement ?
L'avocate de
l'employeur : Elle est très construite. On ne
lui reproche pas le CA, on lui reproche de ne pas avoir pris de disposition
pour redresser le CA.
Le président
: Le CA s'est dégradé entre 2013 et
2016 ?
L'avocate de
l'employeur : Oui. Ma consoeur vous dit :
"C'est la crise". Non, on ne lui reproche pas la crise. On lui
reproche son inertie. On lui reproche son manque de réactivité, de ne pas avoir
établi de plan d'action, et on lui reproche un mauvais encadrement du personnel
sous ses ordres.
Le président
: Expliquez-nous le manque de
réactivité.
L'avocate de
l'employeur : Aucun plan d'action commerciale.
On ne nous donne que des documents superficiels, comme un pauvre powerpoint de
11 pages, sans chiffres. C'est hallucinant.
Elle aurait initié un nouveau
partenariat avec un grand magasin du boulevard Haussmann. Mais elle n'a rien
fait, cela a été réalisé sans elle. En décembre 2016, elle monte une action
d'inauguration pour des clients sélectionnés qui viennent boire du champagne
dans des gobelets en plastique. Pour le rendu commercial, vous m'expliquerez.
On croit que c'est une blague.
L'avocate de
Lydie : Elle a fait un travail de
négociation complexe et elle est parvenue à monter une boutique dans des
conditions très difficiles. L'inauguration se fait avec l'enveloppe commerciale
dont elle dispose. Elle était très appréciée par les directions des grands magasins.
Le président
: D'autres griefs ?
L'avocate de
l'employeur : Elle aurait également dû faire un
plan de développement vers les nouveaux marchés. Europe de l'Est, Asie,
Amérique du Sud... Il est important qu'on redresse la barre à l'international.
Le négoce fait 55 % du CA. Elle produit un document stratégique, mais sans
aucune mesure concrète.
Le président
: Les perspectives ? Les moyens ?
Les actions ?
L'avocate de
l'employeur (souffle avec dédain) :Vous le lirez
avec intérêt !
Le président
: Bon...
L'avocate de
l'employeur : Beaucoup de pièces ne proviennent
pas d'elle, elle se les approprie. Elle aurait mis en place un atelier en
Corée.
Le président
: On regardera. En conclusion
?
L'avocate de
l'employeur : Elle est directrice commerciale et
ne fait jamais de déplacement à l'international ! Pas de visite sur le terrain,
jamais de déplacement pour encadrer ses troupes.
L'avocate de
Lydie : On lui reproche de ne pas avoir
recadré les équipes, pas de présence optimale dans les boutiques. Il y a une
politique de réduction drastique des effectifs qui entraîne des problèmes dans
les plannings et qui se double d'un problème d'informatique. Elle fait ce
qu'elle peut.
L'avocate de
l'employeur : Responsable de rien, surtout !
Elle n'a pas réclamé ses primes en 2016 et 2017 car elle savait qu'elle avait
participé à la baisse du CA. Et là, elle vient vous demander 34 000 euros
!
Le président
: Vous en avez fini ?
L'avocate de
Lydie : Monsieur le président, j'ai fait
un chiffrage à 200 000 euros pour les dommages et intérêts car elle a plus de
50 ans, un licenciement vexatoire que je chiffre à 50 000 euros et on a oublié
de lui payer ses frais de représentation. Je me suis aligné sur les chiffres
des années précédentes.
L'avocate de
l'employeur : Et moi, je demande un trop-perçu
du solde de tout compte...
L'avocate de
Lydie : Une somme qui aurait été indue et
qu'on me réclame plus d'un an plus tard, lorsqu'on saisit les
prud'hommes.
L'avocate de
l'employeur : C'est une erreur de la DRH. Vous
devez les rembourser.
Le président
(appelle Lydie) : S'il vous plaît, madame,
approchez. Vous êtes diplômée de l'Essec ?
Lydie : Oui, monsieur le président.
Le président
: Diplômée de l'Essec avec dix ans
d'ancienneté, vous acceptez de travailler sans objectif ?
Lydie : J'ai perçu 17 000 euros de rémunération variable chaque année, même
quand il y a eu baisse du CA.
Le président
: Qui fixait les objectifs ?
Lydie : Le directeur général.
Le président
: Vous sortez de l'Essec et on vous
met sur le bureau vos "objectifs négoce" ?
Lydie : Il n'y avait pas d'objectif de CA fixé. Il y avait des objectifs de
croissance non formalisés.
Le président
: Comment ?
Lydie : En pourcentage.
Le président
: Dix ans en opérationnelle, vous
êtes en réunion avec eux. À un moment on vous dit : "C'est fini. Combien
?" La négo a commencé comment ?
Les deux
avocates ensemble : Non. Aucune négo.
Lydie : J'ai juste vu la DRH qui m'a dit : "Tu vas recevoir ta lettre de
licenciement."
Le président
: Selon vous, pourquoi avez-vous
quitté cette maison ?
Lydie : Sincèrement, je suis toujours dans la perplexité. J'étais toujours
sur le terrain. En 2015, l'année des attentats, la baisse du CA se fait
ressentir dans les boutiques. J'ai proposé des remèdes.
Le président
: Vous faisiez quoi avant ?
Lydie : J'étais dans de grandes maisons de luxe.
Le président
: Et aujourd'hui ?
Lydie : J'ai 54 ans, 53 ans au moment de mon éviction. C'est plus difficile à
mon âge de retrouver du travail. L'annonce a été brutale. J'ai beau être forte,
cela m'a anéantie et je cherche encore.
15h35. Le président
: Merci.
Verdict, le
18 janvier 2019. Lydie est déboutée. Son employeur
est débouté de sa demande du trop-perçu.
Notre avis:
- Attention les choix des procédures et le respect des délais sont très strictement fixés.
- Pour avoir une chance de gagner, faites-vous accompagner par des représentants du personnel aguerris
- Au sein de la section CFTC de BPCE Sa, Isabelle est conseillère prud'hommes à Paris.
- Pour tout conseil ou accompagnent, n'hésitez pas à nous contacter.
Le solde de
tout compte en clair
Le solde de tout compte est établi par
l'employeur et remis au salarié qui quitte son emploi, quelle que soit la
nature du contrat (CDI, CDD, contrat temporaire) et quel que soit le motif de
la rupture (licenciement, démission, rupture
conventionnelle, fin du CDD).
Il fait l'inventaire de l'ensemble des
sommes versées au salarié (par chèque ou par virement) à l'occasion de la
rupture. Il doit être remis à la fin du préavis, que celui-ci ait, ou non, été
effectué. Mais la loi n'oblige pas le salarié à le signer. Celui-ci a six mois
suivant la date de signature ou de remise du document pour le contester (article L
1234-20 du code du travail), de deux ans s'il a émis des réserves
lors de la signature du document ou s'il ne l'a pas signé (article L
1471-1 du code du travail).
L'article D1234-8 du code du travail
impose au salarié de dénoncer le reçu pour solde de tout compte par lettre
recommandée adressée à son employeur et de mentionner précisément les raisons
de la contestation.
Si le recours porte sur des sommes qui
ne sont pas mentionnées dans le reçu pour solde, le salarié dispose d'un délai
de trois ans pour le contester.
L'employeur peut réclamer les sommes
versées en trop pendant trois ans également (article L
3245-1 du code du travail).
En cas de contestation de part et
d'autre, le conseil des prud'hommes est compétent pour régler le litige. Si le
salarié doit payer un trop-perçu, il doit alerter l'administration fiscale pour
que la somme soit déduite de son impôt sur le revenu.
Attention aux délais : la Cour de
cassation dispose qu'il ne suffit pas de dénoncer le reçu dans les six mois
mais, pour que la saisine aux prud'hommes soit recevable. La convocation devant
le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) doit aussi être faite dans les
six mois après la remise du solde de tout compte (7 mars 2018, pourvoi
n°16-13.194).
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