Repenser la conciliation, former les conseillers sous la responsabilité de l'Ecole nationale de la magistrature et remettre les prud'hommes dans le giron du ministère de la Justice… Telles sont quelques unes des propositions issues d'un rapport sénatorial sur la justice prud'homale présenté mardi 16 juillet.
17/07/2019 Fil AFP Liaisons Sociales
Un groupe de travail commun à la commission des Affaires sociales et à la commission des lois du Sénat travaille depuis 18 mois sur la justice prud'homale. Au terme de 28 auditions et tables rondes, 11 déplacements en France dans 26 conseils de prud'hommes et 8 cours d'appel et un déplacement en Belgique, Agnès Canayer (LR, Seine-Maritime), Nathalie Delattre (RDSE, Gironde), Corinne Féret (PS, Calvados) et Pascale Gruny (LR, Aisne) ont dévoilé, le 16 juillet 2019, leur rapport. Bien loin de la mort parfois annoncée des prud'hommes, le groupe de travail juge qu'« il est nécessaire de maintenir l'autonomie et le caractère paritaire des conseils de prud'hommes et qu'il faut préserver la proximité assurée par le maillage territorial de ces juridictions ». Il rappelle aussi que « les délais de jugement moyens dépassent 16 mois, voire plus de 30 lorsqu'un juge départiteur doit intervenir... et que malgré la baisse de 45 % du nombre d'affaires nouvelles depuis 2005, ces délais ne sont pas réduits ». Ils ont d'ailleurs coûté à l'Etat 2 millions d'euros pour 332 recours au motif de « délais excessifs ».
Redonner sa place à la conciliation
Lors de la précédente réforme, qui avait déjà pour objectif de réduire les délais, d'autres aspects de la procédure ont été mis en avant et traités. Ainsi, le problème de la conciliation a été posé : le législateur y a répondu en mettant en place le BCO (bureau de conciliation et d'orientation) qui précède le bureau de jugement (BJ) - sauf dans les demandes de requalification - et qui a pour objectif de tenter une ultime médiation. Or, force est de constater que le dispositif actuel ne répond pas à sa mission. « Ce mode de règlement ne représente aujourd'hui que 8 % des affaires en 2018 et varie de 0 à 26 % d'un conseil des prud'hommes à l'autre », déplorent les sénatrices. Elle reconnaissent que l'augmentation exponentielle des ruptures conventionnelles favorise en amont un autre type de conciliation, tandis que les contentieux qui arrivent aux prud'hommes sont « de nature conflictuelle.... principalement liés au licenciement » .
Elles dénoncent également que la présence des parties devant le BCO soit « facultative », une sorte de passage obligé avant le BJ qui ne servirait pas à grand chose et « leur représentation par des avocats ne favoriserait pas la conciliation ». Elles jugent donc qu'une refonte du schéma procédural est nécessaire. Dans cette nouvelle configuration, un bureau d'orientation (BO) serait chargé d'orienter les affaires soit vers un mode amiable du règlement des différends, soit vers un bureau de conciliation (avec obligation pour les parties de comparaître personnellement et l'obligation, pour le défendeur, de fournir des éléments suffisants en réponse au demandeur pour assurer le contradictoire et l'information des conseillers en amont de l'audience), soit vers un bureau de jugement, présidé le cas échéant par un magistrat professionnel. « Une telle simplification de la procédure, avec une différenciation selon les affaires, ne devrait pas conduire à un allongement des délais, mais vise à rendre la procédure plus efficace, en redonnant de la consistance à la tentative de conciliation, tout en orientant directement vers un jugement les affaires pour lesquelles la conciliation ne se justifie pas ». Il s'agirait donc de tenter moins de conciliations, « pour en réussir, en pratique, davantage, en les préparant et en les conduisant mieux».
Des conseillers mieux formés
Au cœur de la mission menée par les quatre sénatrices, figure la réflexion sur le rôle dévolu aux conseillers prud'homaux. Il devrait évoluer vers celui de juges ; dans cette perspective, le rapport préconise le port de la robe en remplacement de la médaille. Cette nouvelle forme de professionnalisation irait avec une nouvelle exigence déontologique via une déclaration d'intérêts « afin de garantir leur impartialité en identifiant et en prévenant les risques éventuels de conflits d'intérêts, comme c'est le cas pour les magistrats professionnels et les juges des tribunaux de commerce » . Cette déclaration ne serait pas d'ordre public mais auprès des présidents et vice-présidents.
Le rapport préconise également que soit confié au seul ministère de la Justice la responsabilité complète de la justice prud'homale, sous réserve de la répartition des sièges entre organisations par le ministère du Travail. Or actuellement, la responsabilité ministérielle des CPH, « juridictions judiciaires à part entière », précise les groupe de réflexion, est partagé entre le ministère de la Justice, en particulier la direction des affaires judiciaires (DSJ) pour la gestion des juridictions et la direction des affaires civiles (DACS) pour la définition de la procédure et la direction générale du travail (DGT) du ministère du Travail.
Par ailleurs, « les crédits de la formation continue des conseillers prud'hommes devraient également être transférés à la DSJ ». C'est un sujet sensible : pour que le conseil des prud'hommes se transforme en tribunal de prud'hommes composé de juges, les auteures du rapport militent pour la mise en place d'une obligation de formation de qualité. Celle-ci devrait être assurée par l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) ; « ils ont la connaissance du terrain mais très peu sont des "sachants". Il doivent arriver à motiver leurs décisions », estiment les sénatrices. De plus, elles recommandent que les présidents et vice-présidents aient la possibilité de « transférer de façon définitive », un conseiller d'une section à l'autre, selon des modalités simplifiées, afin que certaines audiences puissent être moins surchargées et que les délais soient réduits. Enfin, toujours dans une optique de professionnalisation, elles préconisent que les conseillers aient l'accès aux formations ouvertes aux magistrats. Et puissent ensuite l'« expérimenter, dans le ressort de plusieurs cours d'appels », par « la mise en place de formations de jugement composées de conseillers prud'hommes et de magistrats professionnels ».
Quel coût pour cette réforme ?
Quel coût engendrerait cette nouvelle réforme ? Les sénatrices ne l'ont pas chiffré. Aujourd'hui, « il n'y a pas de comptabilité ad hoc prud'hommes », précisent-elles. Mais elles souhaitent une réflexion sur la politique de l'immobilier : « savez-vous qu'à Paris [rue Louis Blanc, NDLR], les prud'hommes sont locataires ? » Ailleurs en France, elles décrivent des prud'hommes très modernes et d'autres, au contraire, affreusement vétustes. Une unicité de l'accueil des justiciables serait plus que nécessaire, tant sur le plan immobilier qu'humain : « pourvoir l'intégralité des postes de greffiers dans les greffes des conseils de prud'hommes » est l'une de leurs préconisation, qui réaffirme la spécificité et l'autonomie de la juridiction, dotée d'un greffe dédié, « sans remise en cause du groupement administratif des greffes du conseil de prud'hommes et du futur tribunal judiciaire ».
Elles demandent également le recrutement d'assistants de justice et de juristes assistants et militent pour la réévaluation des conditions d'indemnisation et d'autorisation d'absence des conseillers prud'homaux afin de leur permettre de mieux préparer les audiences. Accroître les moyens informatiques des prud'hommes est l'un des enjeux de la réforme.
Quant à la suite qui sera donné au rapport, « il faut trouver le bon véhicule » législatif, précisent-elles, afin de faire une proposition de loi. En attendant, Agnès Canayer, Nathalie Delattre, Corinne Féret et Pascale Gruny ont mis de côté leurs différences politiques et vont s'employer à convaincre leurs collègues ainsi que le principal intéressé, le ministère de la Justice, de la pertinence de leurs propositions. Sans oublier le ministère de l'Economie et des Finances qui aura son mot à dire sur un plan budgétaire. Comme un hasard du calendrier, ce rapport était présenté la veille de l'avis qui doit être rendu par la cour de cassation sur la barémisation des indemnités prud'homales et qui suscite de nombreuses réflexions. Sauf pour les sénatrices qui ont affirmé que « la question de la barémisation n'est quasiment jamais remontée ». Pourtant, leur recommandation n°45 (l'avant-dernière de la série) esquisse une réponse : « expérimenter, dans plusieurs conseils de prud'hommes, le renvoi obligatoire devant une formation de jugement comprenant un magistrat professionnel des affaires portant sur des demandes d'un montant supérieur à un montant fixé par décret ou sur des licenciements dont la nullité est alléguée ».
Redonner sa place à la conciliation
Lors de la précédente réforme, qui avait déjà pour objectif de réduire les délais, d'autres aspects de la procédure ont été mis en avant et traités. Ainsi, le problème de la conciliation a été posé : le législateur y a répondu en mettant en place le BCO (bureau de conciliation et d'orientation) qui précède le bureau de jugement (BJ) - sauf dans les demandes de requalification - et qui a pour objectif de tenter une ultime médiation. Or, force est de constater que le dispositif actuel ne répond pas à sa mission. « Ce mode de règlement ne représente aujourd'hui que 8 % des affaires en 2018 et varie de 0 à 26 % d'un conseil des prud'hommes à l'autre », déplorent les sénatrices. Elle reconnaissent que l'augmentation exponentielle des ruptures conventionnelles favorise en amont un autre type de conciliation, tandis que les contentieux qui arrivent aux prud'hommes sont « de nature conflictuelle.... principalement liés au licenciement » .
Elles dénoncent également que la présence des parties devant le BCO soit « facultative », une sorte de passage obligé avant le BJ qui ne servirait pas à grand chose et « leur représentation par des avocats ne favoriserait pas la conciliation ». Elles jugent donc qu'une refonte du schéma procédural est nécessaire. Dans cette nouvelle configuration, un bureau d'orientation (BO) serait chargé d'orienter les affaires soit vers un mode amiable du règlement des différends, soit vers un bureau de conciliation (avec obligation pour les parties de comparaître personnellement et l'obligation, pour le défendeur, de fournir des éléments suffisants en réponse au demandeur pour assurer le contradictoire et l'information des conseillers en amont de l'audience), soit vers un bureau de jugement, présidé le cas échéant par un magistrat professionnel. « Une telle simplification de la procédure, avec une différenciation selon les affaires, ne devrait pas conduire à un allongement des délais, mais vise à rendre la procédure plus efficace, en redonnant de la consistance à la tentative de conciliation, tout en orientant directement vers un jugement les affaires pour lesquelles la conciliation ne se justifie pas ». Il s'agirait donc de tenter moins de conciliations, « pour en réussir, en pratique, davantage, en les préparant et en les conduisant mieux».
Des conseillers mieux formés
Au cœur de la mission menée par les quatre sénatrices, figure la réflexion sur le rôle dévolu aux conseillers prud'homaux. Il devrait évoluer vers celui de juges ; dans cette perspective, le rapport préconise le port de la robe en remplacement de la médaille. Cette nouvelle forme de professionnalisation irait avec une nouvelle exigence déontologique via une déclaration d'intérêts « afin de garantir leur impartialité en identifiant et en prévenant les risques éventuels de conflits d'intérêts, comme c'est le cas pour les magistrats professionnels et les juges des tribunaux de commerce » . Cette déclaration ne serait pas d'ordre public mais auprès des présidents et vice-présidents.
Le rapport préconise également que soit confié au seul ministère de la Justice la responsabilité complète de la justice prud'homale, sous réserve de la répartition des sièges entre organisations par le ministère du Travail. Or actuellement, la responsabilité ministérielle des CPH, « juridictions judiciaires à part entière », précise les groupe de réflexion, est partagé entre le ministère de la Justice, en particulier la direction des affaires judiciaires (DSJ) pour la gestion des juridictions et la direction des affaires civiles (DACS) pour la définition de la procédure et la direction générale du travail (DGT) du ministère du Travail.
Par ailleurs, « les crédits de la formation continue des conseillers prud'hommes devraient également être transférés à la DSJ ». C'est un sujet sensible : pour que le conseil des prud'hommes se transforme en tribunal de prud'hommes composé de juges, les auteures du rapport militent pour la mise en place d'une obligation de formation de qualité. Celle-ci devrait être assurée par l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) ; « ils ont la connaissance du terrain mais très peu sont des "sachants". Il doivent arriver à motiver leurs décisions », estiment les sénatrices. De plus, elles recommandent que les présidents et vice-présidents aient la possibilité de « transférer de façon définitive », un conseiller d'une section à l'autre, selon des modalités simplifiées, afin que certaines audiences puissent être moins surchargées et que les délais soient réduits. Enfin, toujours dans une optique de professionnalisation, elles préconisent que les conseillers aient l'accès aux formations ouvertes aux magistrats. Et puissent ensuite l'« expérimenter, dans le ressort de plusieurs cours d'appels », par « la mise en place de formations de jugement composées de conseillers prud'hommes et de magistrats professionnels ».
Quel coût pour cette réforme ?
Quel coût engendrerait cette nouvelle réforme ? Les sénatrices ne l'ont pas chiffré. Aujourd'hui, « il n'y a pas de comptabilité ad hoc prud'hommes », précisent-elles. Mais elles souhaitent une réflexion sur la politique de l'immobilier : « savez-vous qu'à Paris [rue Louis Blanc, NDLR], les prud'hommes sont locataires ? » Ailleurs en France, elles décrivent des prud'hommes très modernes et d'autres, au contraire, affreusement vétustes. Une unicité de l'accueil des justiciables serait plus que nécessaire, tant sur le plan immobilier qu'humain : « pourvoir l'intégralité des postes de greffiers dans les greffes des conseils de prud'hommes » est l'une de leurs préconisation, qui réaffirme la spécificité et l'autonomie de la juridiction, dotée d'un greffe dédié, « sans remise en cause du groupement administratif des greffes du conseil de prud'hommes et du futur tribunal judiciaire ».
Elles demandent également le recrutement d'assistants de justice et de juristes assistants et militent pour la réévaluation des conditions d'indemnisation et d'autorisation d'absence des conseillers prud'homaux afin de leur permettre de mieux préparer les audiences. Accroître les moyens informatiques des prud'hommes est l'un des enjeux de la réforme.
Quant à la suite qui sera donné au rapport, « il faut trouver le bon véhicule » législatif, précisent-elles, afin de faire une proposition de loi. En attendant, Agnès Canayer, Nathalie Delattre, Corinne Féret et Pascale Gruny ont mis de côté leurs différences politiques et vont s'employer à convaincre leurs collègues ainsi que le principal intéressé, le ministère de la Justice, de la pertinence de leurs propositions. Sans oublier le ministère de l'Economie et des Finances qui aura son mot à dire sur un plan budgétaire. Comme un hasard du calendrier, ce rapport était présenté la veille de l'avis qui doit être rendu par la cour de cassation sur la barémisation des indemnités prud'homales et qui suscite de nombreuses réflexions. Sauf pour les sénatrices qui ont affirmé que « la question de la barémisation n'est quasiment jamais remontée ». Pourtant, leur recommandation n°45 (l'avant-dernière de la série) esquisse une réponse : « expérimenter, dans plusieurs conseils de prud'hommes, le renvoi obligatoire devant une formation de jugement comprenant un magistrat professionnel des affaires portant sur des demandes d'un montant supérieur à un montant fixé par décret ou sur des licenciements dont la nullité est alléguée ».
Claire Padych
Notre info:
- Nous vous rappelons que la section CFTC BPCE Sa compte parmi ses rangs, Isabelle Place qui est conseiller Prud'hommes ( Prud' femmes ? ).
- Nous sommes donc à votre service pour tout conseil, information ou intervention.....
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