>Économie|Aurélie Sipos|10 janvier 2019,
13h47|MAJ : 10 janvier 2019, 13h57|0
Depuis
septembre 2017, ce plafonnement encadre strictement la fixation des indemnités
accordées par les prud'hommes dans le cas d'un licenciement jugé sans cause
réelle et sérieuse. LE
PARISIEN
Trois décisions consécutives ont balayé
le plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement abusif mis en
place en début de quinquennat. Decryptage.
La mesure phare des ordonnances
Travail de Macron a-t-elle du plomb dans l’aile ? Ces derniers
mois, trois décisions judiciaires ont instillé le doute. Les conseillers
prud’homaux de Troyes (Aube), d’Amiens (Picardie) et de Lyon (Rhône) ont décidé
de ne pas appliquer les nouveaux barèmes de dommages et intérêts prévus pour
les salariés dans le cadre d’un licenciement abusif. Des décisions qui
entretiennent le flou sur la suite des procédures. Decryptage en cinq
questions.
Sur quoi se basent ces décisions ?
Pourtant jugé légal par le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel,
pour certains juges, ce plafonnement est contraire à
deux textes internationaux. Le premier, l’article 10 de la
convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1982,
ratifié par la France, qui stipule que si les juges « arrivent à la conclusion
que le licenciement est injustifié […], ils devront être habilités à ordonner
le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation
considérée comme appropriée ».
Et le second, l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996
selon lequel « tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de
licenciement ». En s’appuyant sur ces deux textes, les juges prud’homaux de ces
trois sections ont donc balayé les barèmes, avec pour première conséquence de
créer une insécurité juridique, notamment pour les employeurs.
Qu’est ce que cela signifie pour les
employeurs ?
« Ce n’est pas une nouvelle surprenante. Mais cette ordonnance devait leur
donner de la prévisibilité et de la sécurisation lors de licenciements, or là
on ne sait pas si la loi tient la route », relève Eric Rocheblave, avocat
spécialisé en droit du travail. Depuis l’instauration des barèmes, le montant
des dommages et intérêts versés au salarié n’est plus laissé à la libre
appréciation des juges, mais doit désormais être plafonné entre un et vingt
mois de salaire brut, en fonction de son ancienneté. Exceptés dans les cas de
harcèlement moral, de discrimination ou dans le cas d’une violation de liberté
fondamentale.
Et pour les salariés ?
Du côté des avocats de salariés, ce contournement du barème peut en
revanche être vu comme une aubaine. « Oui c’est un élément lors d’une
négociation. Tant qu’on sait qu’on ne peut pas être censuré, on encourage à
évoquer cet argument », pour à terme réclamer plus d’argent, reconnaît Eric
Rocheblave. « Il y aura de plus en plus d’avocats qui vont utiliser cet
argument juridique », abonde un autre conseil.
Les décisions vont-elles toutes dans le
même sens ?
Non. En septembre dernier, les conseillers prud’hommes du Mans ont
considéré quant à eux que le barème est conforme à l’article 10 de la
convention n°158 de l’OIT. Comme le rappellent plusieurs spécialistes du droit,
d’autres décisions doivent tomber dans les prochains mois, et pourraient aller
dans le sens inverse des récentes décisions.
Le plafonnement est-il réellement menacé
?
« Ces derniers jugements arrivent en plein mouvement de contestation des
Gilets jaunes, selon Fabien Desmazure, avocat spécialiste du droit du travail
au cabinet FD Avocats. On arrive aussi, sur le terrain judiciaire, à une
division », explique-t-il. « Les récentes décisions concernent des cas très
spécifiques, ce sont des contrats qui ont duré très peu de temps. Il s’agit
souvent de salariés qui n’ont pas beaucoup d’ancienneté », relativise-t-il.
« On sait que les juges et les conseillers prud’homaux ont peu apprécié qu’une loi
vienne leur retirer leur pouvoir d’appréciation », avance de
son côté Marie-Hélène Bensadoun, associé du cabinet August Debouzy et
vice-présidente d’Avosial, syndicat d’avocats d’entreprises en droit social. «
Pour l’instant, il y a une loi qui est passée, on l’applique, même si un vrai
débat juridique est lancé et ne sera tranché que par la Cour de cassation », constate
Marie-Hélène Bensadoun. Mais il faudra être patient. « Seule la Cour de
cassation peut donner le la en matière de jurisprudence. Mais
il va y avoir des matchs à rejouer, note Fabien Desmazure. Les procédures en
appel vont-elles déboucher sur les mêmes décisions ? », interroge le conseil.
La question reste ouverte, et l’issue du débat encore lointaine.
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