Deux analyses de la mortalité concluent que la baisse
récente de l’espérance de vie américaine est liée à un problème
« systémique ».
LE MONDE | 16.08.2018 à 00h30 • Mis à jour
le 16.08.2018 à 12h09 |Par Stéphane Foucart
Partager (3 696)Tweeter
Les Etats-Unis sont
atteints d’une maladie « systémique », et cela
devrait inciter
les autres pays développés à la vigilance. C’est, en substance, la conclusion
de deux études publiées, mercredi 15 août, dans le British Medical
Journal. La première, conduite par Steven Woolf (Virginia Commonwealth
University), révèle une hausse inquiétante de la mortalité chez les adultes
américains d’âge moyen au cours des dix-sept dernières années et singulièrement
depuis 2012, où l’espérance de vie américaine a commencé à stagner,
avant de décliner à partir de
2015.
à 2014. Brusque et
inédite par son caractère collectif, cette chute a cependant été généralement
compensée par un rebond l’année suivante, à l’exception du Royaume-Uni et des
Etats-Unis.
Outre-Atlantique,
cette baisse de l’espérance de vie enregistrée en 2015 s’est même
confirmée en 2016. L’indice pointait alors à 78,6 ans, soit 0,3 an de
moins qu’en 2014. Des données préliminaires rendues publiques en mai par
l’Associated Press indiquaient que l’année 2017 devait connaître une
nouvelle chute de la longévité. Elle serait alors la troisième année d’affilée
de déclin – situation sans précédent depuis plusieurs décennies.
Pour comprendre, Steven Woolf et ses coauteurs ont comparé les
caractéristiques de la mortalité de la population américaine âgée de 25 à 64
ans, par origine ethnique, entre 1999 et 2016. « Entre 1999 et
2016, les taux de mortalité toutes causes confondues n’augmentent pas
uniquement parmi les Blancs, mais aussi chez les Amérindiens »,
écrivent les auteurs. Les trois autres groupes ethniques étudiés (Noirs, Hispaniques
et Asiatiques) ont d’abord connu une baisse de mortalité, qui s’est interrompue
entre 2009 et 2011, avant de partir à la hausse.
Premier constat :
les overdoses sont la première cause d’accroissement de la mortalité, dans tous
les groupes. Les taux de mortalité due à l’utilisation de drogues ou de
médicaments augmentent ainsi de plus de 410 % chez les Amérindiens,
150 % chez les Noirs, 80 % chez les Hispaniques…
Ce sont les stigmates
de la crise des opioïdes qui frappe les Etats-Unis depuis la mise sur le
marché, au milieu des années 1990, de puissants antalgiques proches de la
morphine. Ceux-ci ont plongé dans la dépendance plus de 2 millions
d’Américains et entraînent aux Etats-Unis plusieurs dizaines de milliers de
morts par an. Ce constat n’est pas nouveau.
Des inégalités sociales fortes
Mais, soulignent
Steven Woolf et ses coauteurs, ce n’est pas la seule cause. « Les
taux de mortalité à mi-vie, expliquent les chercheurs, ont aussi
augmenté pour un large éventail de maladies touchant de multiples fonctions et
organes du corps humain. » Chez les Amérindiens, les taux de
mortalité entre 25 et 64 ans ont ainsi augmenté pour douze causes différentes,
dont les maladies dues à l’hypertension (+ 270 %), le cancer du foie (+
115 %), les hépatites virales (+ 112 %), les maladies du système
nerveux central (+ 100 %)… Suicides, maladies hépatiques liées ou non à
l’alcool, tumeurs cérébrales, maladies respiratoires ou métaboliques ou encore
obésité font grimper la
mortalité dans parfois plusieurs groupes.
Les taux de mortalité
augmentent à travers l’ensemble de la population américaine pour une douzaine
d’affections. Cela signale, pour les auteurs, que la dégradation de la santé
aux Etats-Unis est le fait « de causes profondes et
systémiques ». « Nous soupçonnons que l’inégalité
croissante des revenus, les déficiences de l’éducation, la fracture sociale et
le stress peuvent jouer un
rôle important, explique M. Woolf. D’autres facteurs
pourraient inclure le
manque d’accès universel aux soins, la possession d’armes à feu par la
population et les taux élevés d’obésité. »
L’épidémiologiste
Philip Landrigan (Boston College), qui n’a pas participé à l’étude, salue des
travaux « très solides ». « Les données
présentées ne permettent pas de distinguer les déterminants profonds de cette dégradation
de l’état de santé des Américains. Mais il est clair que lorsque vous créez des
inégalités sociales fortes, vous créez une catégorie de la population qui finit
par voir son
espérance de vie se réduire, dit-il. Il faut aussi avoir à
l’esprit ce que montrent de nombreux travaux : les plus pauvres sont aussi
ceux qui sont les plus exposés à presque tous les polluants
environnementaux comme le plomb, les pesticides, la pollution de l’air… Ce
facteur potentiel est fréquemment négligé. »
En outre, cette
détérioration de l’état de santé des Américains intervient alors que le
tabagisme est outre-Atlantique à un niveau historiquement bas (environ
15,5 % de la population adulte fumait en 2016) et que la consommation
moyenne d’alcool par habitant n’a que marginalement augmenté sur la période
étudiée (de 8,25 litres par personne de plus de 14 ans et par an en 1999,
à 8,8 litres en 2015).
Une perte « sans précédent »
La seconde étude
souligne de son côté la profonde singularité des Etats-Unis au sein d’un
échantillon de dix-huit pays membres de l’Organisation de coopération et de
développement économiques. Les deux scientifiques ont analysé les causes de
l’excès de mortalité qui a conduit, entre 2014 et 2015, à une baisse
significative de l’espérance de vie dans douze de ces pays – en moyenne 0,21
année perdue pour les femmes et 0,18 pour les hommes.
Selon leurs travaux,
les grandes causes de décès ont été les maladies respiratoires,
cardiovasculaires, du système nerveux central et les désordres mentaux, et
elles ont majoritairement concerné les plus de 65 ans. La sévère épidémie de
grippe semble avoir été un facteur déterminant. Aux Etats-Unis,
au contraire, la perte d’espérance de vie « s’est concentrée
sur des populations d’âges moins avancés », inférieurs à 65 ans. Et la
grippe n’y a que peu à voir.
« Des gains
monumentaux d’espérance de vie ont été la tendance dominante dans les pays
développés à haut revenu tout au long du XXe et du XXIe siècle », notent les auteurs.
Toutefois, cette perte importante enregistrée simultanément dans douze pays
riches est « sans précédent ».
« Ce pic de
mortalité a souvent été attribué aux effets directs et indirects d’une sévère
épidémie de grippe, en particulier sur les personnes âgées, écrit Domantas
Jasilionis (Institut Max-Planck pour la recherche en démographie), dans un
éditorial publié par le British Medical Journal. Il est
frappant de constater que
les systèmes de santé des pays riches les plus avancés ont été incapables
de gérer ce
défi imprévu, avec pour conséquence la première réduction de longévité en
plusieurs décennies. Cela pourrait être le
signe de problèmes plus profonds. »
Pour Jay Olshansky
(université de l’Illinois), qui avait prédit, en 2005 dans le New
England Journal of Medicine, un renversement imminent de tendance aux
Etats-Unis, cela signale aussi que « l’ère où l’on pouvait gagner beaucoup
d’espérance de vie est révolue ». Un point toujours débattu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire