Par Claire Padych,l'expresspublié le , mis à jour à
Je suis très énervée, monsieur le président ! Je demande sa requalification en CDI et l'employeur veut le virer à la barre. Je demande protection à votre conseil, car dans cette lettre, il est indiqué que le 30 septembre, il est dehors. J'ai mis dans mon dossier toutes les requalifications obtenues pour des salariés de Télématin depuis le 2 février 2019 et la poursuite de la relation de travail.
Mais, pour monsieur Collignon, on a changé de tactique en balançant une lettre de rupture pour faire peur à tous les autres. Et qui est là, de France Télévisions ? Personne. Vous ne voyez aucune des 350 personnes de la DRH. Aucune n'est venue.
L'avocate de l'employeur : Je ne peux pas vous laisser dire que les DRH de France Télévisions ne foutent rien. Ce n'est pas vrai. Je suis juste d'accord sur une chose avec vous : nous ne devrions pas être devant les prud'hommes aujourd'hui, puisque nous avons offert un CDI à votre client, qui l'a refusé. On est ouvert à une intégration.
Le président : Vous avez le CDI ici ? Monsieur Collignon, approchez-vous. Cela vous convient ou pas ?
Philippe Collignon : Je suis très heureux de travailler à France Télévisions, j'aime mon métier. J'ai évidemment accepté la proposition de CDI. Mais à quoi correspond la somme ? Je ne comprends pas tout quand on décortique le salaire brut. Il est normal que je demande des explications et je veux être requalifié avec 24 ans d'ancienneté.
L'avocate de Philippe Collignon : Il y a 20 000 euros en moins...
L'avocate de l'employeur : Il est payé 30% de plus que les autres justement parce qu'il est précaire. On ne peut pas le payer autant s'il est intégré. On lui a donné 15 jours pour se rapprocher de nous et se positionner. C'est une mesure d'ordre général.
Philippe Collignon : Je ne veux surtout pas la guerre, mais je ne veux pas qu'on me mette comme débutant.
Le président : Je ne vous demande pas de vous coucher si ce ne sont pas les mêmes conditions et que vous devez perdre de l'argent.
L'avocate de Philippe Collignon : Encore une précision, Monsieur le président. J'ai une décision du 20 juin 2019 de requalification d'un réalisateur. Le salaire retenu par votre conseil est de 14 159 euros mensuels. Ce salarié était seulement réalisateur, pas réalisateur et journaliste.
Le président (à l'avocate de l'employeur) : Vous avez le contrat là ?
L'avocate de l'employeur : J'ai des éléments...
Le président : Il est 16h17, vous avez 45 minutes pour récupérer le contrat, on fait une pause.
Le conseil sort, l'avocate de France Télévisions s'isole et téléphone.
17h08. Le conseil revient.
Le président : Alors ?
L'avocate de l'employeur : Je n'ai pas toutes les réponses. Le salaire, c'est sur 13 mois. Il n'y a pas de raison qu'on reprenne l'ancienneté à 1995.
L'avocate de Philippe Collignon fulmine.
Le président : On ne s'est pas mis d'accord, c'est dommage. Sur des dossiers comme celui-là, il faudrait étudier d'autres pistes que celle que vous proposez. L'absence de France Télévisions est regrettable.
L'avocate de l'employeur : On ne lui a pas fermé la porte, mais on préférerait qu'il discute avec la DRH, pas que ce soit une discussion entre avocats. Il a encore un délai pour le faire. On a notifié la lettre de rupture, certes, mais au 30 septembre. On ne le dégage pas sans ménagement. Il aurait une indemnité de fin de collaboration de 60 000 euros.
17h30. Le président : Prononcé le 27 août.
Verdict. Le conseil dit que la relation de travail entre Philipe Collignon et France Télévisions est en CDI à temps plein depuis le 2 janvier 1995. L'employeur est condamné à lui payer 15 000 euros d'indemnité de requalification, 15 876 euros de prime d'ancienneté, 1587,60 euros de congés payés afférents et 4000 euros d'article 700. Il doit en outre payer 3000 euros de dommages et intérêts au syndicat et 1000 euros d'article 700.
Bureau de jugement direct pour une demande de requalification
Passer aux prud'hommes se décompose, généralement, en trois étapes : la saisine, qui se fait par une requête ; puis les parties sont convoquées devant le bureau de conciliation et d'orientation (BCO, non public) ; si elles ne parviennent pas à se mettre d'accord, elles doivent plaider devant le bureau de jugement (BJ, l'audience est publique).
La requalification de contrats à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI) déroge à ce déroulement. Ainsi, conformément à l'article L.1245-2 du code du travail, Philippe Collignon a saisi les prud'hommes le 6 mai 2019 et les parties sont passées directement devant le bureau de jugement sans s'arrêter à l'étape du BCO (bureau de conciliation et d'orientation).
En effet, lorsqu'un salarié en cours de CDD remet en cause la nature de son contrat de travail, il est impératif qu'il soit entendu quand il est encore en poste et que la décision soit également notifiée durant cette période.
L'enjeu est de taille, puisque si le conseil requalifie le contrat en CDI, le salarié poursuit normalement sa relation de travail. C'est ce qui s'est passé dans cette affaire : la lettre notifiant la fin de la relation au 30 septembre est nulle et non avenue.
CFTC BPCE Sa, notre rappel:
- Isabelle Place (Déléguée du personnel CFTC à BPCE Sa), est aussi conseillère prud'hommes à Paris,
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