Selon
l'économiste français Nicolas Bouzou, connu pour son franc-parler, il est
urgent de garantir l'autonomie des salariés et de redonner du sens à leur
travail dans l'entreprise.
Par Nadia Di
Pillo
Pour sa
réception de Nouvel an, la Fédil (Fédération des industriels luxembourgeois) a
voulu marquer le coup en invitant Nicolas Bouzou, économiste et essayiste
français né en 1976, défenseur acharné de la libre-entreprise, mais surtout
connu pour son franc-parler et son regard critique sur le management «moderne»
des grandes entreprises.
- Nicolas Bouzou, avec la
robotisation, la précarisation et l'intelligence artificielle, certains
préconisent déjà la fin du travail. C'est une illusion?
Nous sommes
entrés dans une mutation technologique, qui est celle du numérique, de la
robotique et de l'intelligence artificielle, ce qu'on appelle la troisième
révolution industrielle. A chaque période de mutation économique, la peur de la
fin du travail resurgit.
C'est une
constante de l'histoire économique. En réalité, on voit que la technologie et
les grandes vagues d'innovation modifient les façons de travailler. Elles
suppriment certaines tâches à l'intérieur des emplois et en font apparaître
d'autres. Si certains métiers risquent de disparaître, d'autres peuvent
apparaître.
- Le travail ne meurt donc pas,
il se transforme...
Absolument,
avec un grand défi au niveau des métiers existants: comment vont-ils évoluer
dans le futur? Le métier de journaliste existera toujours, mais il va sans
doute évoluer, comme celui du médecin ou de l'avocat par ailleurs.
L'évolution
se fera en fonction de l'avancée des nouvelles technologies. Ces technologies
de la troisième révolution industrielle et notamment l'intelligence
artificielle permettent surtout d'automatiser tout ce qui est «automatisable»,
ou mécanique, y compris d'ailleurs sur le plan intellectuel.
- Quel rôle et quelles
compétences alors pour le salarié dans l'entreprise de demain?
Les
compétences dont il devra faire preuve dans l'entreprise, ce sont celles qui
différencient les individus de la technologie, c'est-à-dire celles qui tiennent
compte de la tête, du coeur et de la main. La main, parce qu'il faudra toujours
savoir faire des choses techniques, écrire un article quand on est journaliste,
remplacer un robinet quand on est plombier.
La tête,
parce qu'il n'y a que les humains qui peuvent résoudre des problèmes
inattendus. Et puis le coeur: on va de plus en plus demander aux salariés
d'avoir des interactions sociales, que ce soit dans le domaine de l'éducation,
de la santé, des professions du droit ou dans le commerce.
On va moins
leur demander de respecter des «process», mais plutôt de faire preuve
d'initiative, d'empathie, de rigueur, de créativité et de capacité à résoudre
les problèmes qui arrivent de manière aléatoire et inattendue.
- On nous promet aussi la fin du
travail pénible...
La part des
métiers pénibles a énormément diminué depuis 150 ans grâce à la technologie. On
considère qu'au début du XXe siècle, 80 % des métiers étaient pénibles,
aujourd'hui le taux se situe autour de 15 %.
La
robotisation va permettre aux sociétés de baisser encore un peu les tâches trop
pénibles; dans les entreprises de service, par exemple, elle pourra réduire
tout ce qui embête les salariés comme les process, les reporting, les tâches
très répétitives.
- La robotisation risque toutefois
de frapper de plein fouet les travailleurs les plus vulnérables de notre
société...
Ce n'est pas
tout à fait vrai. Les salariés qui sont le plus touchés, ce sont ceux qui font
partie de la fameuse classe moyenne. On le voit très bien dans les pays anglo-saxons
et aux Etats-Unis en particulier. Les technologies et la mondialisation
concernent plutôt les classes moyennes inférieures, les salariés qui
travaillent dans les usines par exemple ou certains métiers de services.
Les métiers
faiblement valorisés comme le serveur de restaurant ou les éboueurs ne sont pas
menacés. Le vrai enjeu, c'est plutôt l'attaque de la technologie et de la
mondialisation contre les classes moyennes. Au fond, si je voulais faire une
analogie avec ce qui se passe dans mon pays, ce sont les gilets jaunes qui sont
un peu visés et qui sont au coeur du malaise, plus que les personnes qui ont
des métiers très faiblement qualifiés ou qui ont vraiment très peu d'argent.
- La solution passe donc par une
période de réapprentissage?
Exactement,
et cela représente une immense difficulté politique, parce que former les
salariés ne se fait pas du jour au lendemain. Or, nos sociétés veulent des
résultats rapides. Les gilets jaunes ne veulent pas des solutions pour 2030 ou
2040, mais pour demain ou la fin du mois en tout cas.
Nos
démocraties ont donc un immense défi, elles doivent investir énormément
d'argent dans la formation professionnelle pour pouvoir apporter des solutions.
- Dans votre dernier ouvrage,
vous dites aussi que le management tel qu’il est pratiqué dans la plupart
des entreprises n'est plus adapté à l'économie. Pourquoi?
Le problème,
c'est que bien souvent les managers et les chefs sont mal choisis dans les
entreprises. Très souvent, le manager n'est pas perçu comme une compétence, mais
comme une promotion. Cette situation est catastrophique!
Ce n'est pas
parce que quelqu'un est un bon journaliste, un bon enseignant, qu'il va devenir
un bon directeur de rédaction ou un bon directeur d'établissement. C'est
absurde, ce ne sont pas les mêmes compétences.
- Que faire?
Il faut bien
sûr que le manager possède des compétences techniques, c'est absolument
nécessaire, mais il faut que celui-ci possède avant tout des compétences
managériales, de leadership, une capacité à entraîner les autres, à aider les
autres. Le manager doit être quelqu'un qui lève des contraintes.
Or la
plupart des managers n'ont aucune capacité de leadership, n'ont pas envie
d'être une ressource et ils mettent donc des contraintes au lieu de les lever.
Quand les entreprises ne choisissent pas les bons managers, cela donne des
petits chefs qui vont faire de l'autoritarisme et donc l'inverse de l'autorité.
La bonne
autorité, c'est celle qui montre le chemin et qui tire les gens vers le haut.
Malheureusement, cela devient très rare dans les entreprises et le drame, c'est
que la part des salariés démotivés est en train d'exploser.
- Mais ces compétences ne sont pas
si faciles à trouver...
Elles sont
là, mais il faut faire le bon choix. Il y a aujourd'hui beaucoup trop de
managers dans les entreprises, pour la simple raison qu'on a tendance à
considérer qu'un salarié qui a réussi techniquement doit être manager.
Du coup on
nomme plein de gens manager. Cela n'a pas de sens! Il faut bien sûr des
managers, des chefs, mais aujourd'hui il y a en beaucoup trop dans les grandes
entreprises, les grandes banques, etc...
- Que préconisez-vous?
Il faut par
exemple revaloriser le rôle des directions des ressources humaines, qui ont été
un peu dépossédées ces dernières années. On a par exemple fait monter d'autres
types de postes comme les «chief happiness officer», quelque chose de
complètement absurde.
Guy Jallay
Ce qui est
important, ce sont les bonnes conditions de travail, la lutte contre la
pénibilité. En revanche, jamais un salarié n'a quitté une entreprise parce
qu'il n'y avait pas de babyfoot! Il y a parfois des problèmes de motivation
dans les entreprises et celles-ci apportent des réponses qui ne sont pas du
tout adaptées.
En fait les
salariés veulent de bons salaires, de l'autonomie et du sens et on leur donne
du babyfoot et des cours de yoga! Il faut sortir de cette notion de bonheur,
car le rôle de l'entreprise n'est pas d'apporter le bonheur. Le rôle de
l'entreprise, c'est d'apporter de l'épanouissement au travail, ce qui est
complètement différent.
- Il y a donc selon vous une
crise de sens aujourd'hui au cœur des entreprises?
La question
du sens est très importante. Les salariés des pays développés veulent savoir
pourquoi ils travaillent. Surtout les jeunes salariés veulent trouver un sens à
leur travail. Et c'est aux entreprises et à leurs managers de leur montrer le
sens du travail et d'expliquer le projet de l'entreprise.
- Si on se projette de nouveau
vers l'avenir, pensez-vous que la robotisation va entraîner une réduction
progressive du temps de travail?
Je ne pense
pas que nous travaillerons moins, mais il faudra faire en sorte que les
salariés puissent travailler mieux. Nous serons certainement plus connectés, la
frontière entre la vie privée et la vie professionnelle va s'effacer peu à peu,
c'est inéluctable. En revanche, il faudra donner plus d'autonomie aux
collaborateurs, faire en sorte qu'ils aient des conditions de travail moins
stressantes. Il faut que les technologies nous aident à travailler différemment.
- Finalement, quel avenir pour le
dialogue social?
Il faut
conserver et préserver cela, c'est très important. Sans dialogue social, on ne
peut pas avancer de façon constructive sur des sujets décisifs comme le
télétravail ou le temps du travail. Je suis persuadé que les partenaires
sociaux auront un rôle déterminant à jouer ces prochaines années.
Notre avis:
- ce passionnant article est totalement dans le prolongement de ce que préconise la CFTC à BPCE Sa.
- Mais comme la DRH de cette entreprise refuse systématiquement de reconnaître les partenaires sociaux justement comme des "partenaires" mais les considère juste comme un mal nécessaire !
- Rappel: 10 ans de BPCE Sa, pas d'accord de droit syndical donc:
- pas d'heures ((hors légales ) pour préparer des dossiers ou aider des collègues
- pas de financement pour organiser des déplacements dans les filiales, pour se documenter ou se former.
Nous n'avançons pas et nous ne pouvons considérer tous les grands principes décrits par l'entreprise sur ces thèmes, comme uniquement de la littérature.
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