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Par Bertrand Bissuel
Ils continuent de dialoguer malgré la profondeur de leurs divergences. Lundi 22 juin, le patronat et les syndicats devaient à nouveau se rencontrer au sujet de l’avenir des retraites complémentaires des cadres (Agirc) et des non-cadres (Arrco). C’est la cinquième fois que les partenaires sociaux échangent, dans le cadre de négociations ouvertes début février, pour trouver des solutions susceptibles de redresser les comptes des deux régimes. La perspective d’un accord, à l’issue de cette séance de discussions, semblait très improbable. Bien qu’il ait amendé sa copie depuis la précédente réunion, le Medef défend une batterie de mesures dont certaines sont perçues comme des « provocations » par les organisations de salariés.
Les enjeux sont loin d’être négligeables. L’Agirc « compte aujourd’hui pour 57 % dans la [pension] d’un cadre » et l’Arrco pour 31 % dans celle d’un salarié non cadre, comme le rappelle François Charpentier dans son livre Retraites complémentaires (Economica, 2014). Or les deux dispositifs sont dans le rouge depuis plusieurs années : en 2014, le déficit de l’Agirc a atteint 1,98 milliard d’euros et celui de l’Arrco 1,15 milliard (contre respectivement 1,24 milliard d’euros et 405 millions d’euros, en 2013). Les réserves accumulées par les deux régimes ont été mises à contribution afin de combler les trous mais elles pourraient s’assécher si aucune décision n’était prise.
Mécanisme dégressif
Pour résoudre ces difficultés, le Medef a formulé plusieurs propositions dont l’une suscite l’hostilité des centrales syndicales. Elle vise à inciter les salariés « à décaler l’âge effectif de départ à la retraite » en instaurant des « abattements temporaires et dégressifs ». Ainsi, ceux qui partent à 62 ans verraient leur pension complémentaire amputée de 30 % la première année, de 20 % la deuxième, de 10 % la troisième, avant de recouvrer la plénitude de leurs droits à 65 ans.
Lors de la précédente séance de discussions, le 27 mai, les solutions avancées par le Medef allaient encore plus loin : la décote était de 40 % la première année et le mécanisme, là aussi dégressif, s’appliquait jusqu’à 66 ans inclus. Devant la presse, le chef de la délégation patronale, Claude Tendil, avait justifié ces mesures en expliquant que« jouer sur le levier de l’âge » de départ à la retraite constitue « une nécessité ». Ce paramètre, dans de nombreux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), se situe entre 65 et 70 ans, avait-il plaidé, en ajoutant que l’espérance de vie des hommes, en France, a progressé de huit ans entre 1981 et 2011. Il ne s’agit pas de « changer la loi » ou d’infliger une « punition », s’était-il défendu, mais de faire face à de gros besoins de financement.
Même si la potion préparée par le patronat est, cette fois-ci, moins amère, les syndicats la rejettent en bloc. « On ne peut pas signer un tel texte en l’état, affirme Jean-Louis Malys, l’un des négociateurs de la CFDT. Il cherche à faire en sorte que les salariés ne partent plus à 62 ans. Cela revient à durcir ou à contourner les lois qui ont été promulguées en 2010 et en 2014. » Sans que le Parlement ait eu son mot à dire. « Les organisations d’employeurs veulent envoyer aux politiques un message qui consiste à leur dire : “Remontez l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans” », renchérit Philippe Pihet (Force ouvrière).
« Perte de compétitivité »
Les représentants des salariés sont d’autant plus exaspérés que le patronat veut « des économies portées par les salariés et par les retraités sans mettre un sou sur la table », selon la formule d’Eric Aubin (CGT). Le document transmis, le 19 juin, par le Medef aux syndicats indique, en effet, que « la période n’est pas favorable à une augmentation des cotisations » du fait « du poids des charges pesant sur les actifs et sur les entreprises » et « de la perte de compétitivité de notre économie ».
Un argumentaire irrecevable aux yeux des syndicats : des efforts, mesurés, peuvent aussi être demandés aux entreprises, disent-ils. « Elles ont touché 110 milliards d’euros d’aides publiques en 2015 et en percevront 135 en 2017, lance M. Pihet. Leurs taux de marge remontent, ce dont je me réjouis. Mais il serait temps de partager les fruits de la croissance. »
Pour le moment, les protagonistes campent sur leurs positions. Une nouvelle séance de discussions devrait se tenir soit avant, soit après les vacances d’été. Selon M. Tendil, la date butoir pour conclure est « la fin de l’année ». M. Pihet, lui, pense même que, « techniquement », les négociations peuvent courir jusqu’à la fin de l’hiver, puisque « les paramètres doivent être fixés à partir d’avril 2016 ». Quel que soit le délai dont ils disposent, les partenaires sociaux ont un long chemin à parcourir avant de rapprocher leurs points de vue.
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